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invisible. Je crois que nous marchons depuis près de trois heures. Nous serions donc à douze kilomètres du poste ; à cette distance, des coups de feu ne peuvent s’y entendre : si nous allons vers une embuscade, nous ne tarderons pas à tomber dedans.

Le guide s’arrête. Nous sommes au sommet d’une hauteur faite de rochers ; il me touche le bras, m’indique le bas de la colline et murmure : « Mabiala. »

C’est ici ; mais quelles mesures prendre ? Je ne vois rien. L’interprète est près de moi ; à voix basse, je lui dis de demander s’il y a un village au fond de ce ravin. Le guide répond non, et montre le rocher. Mabiala est dans une caverne, en bon brigand qu’il est. Il faut reconnaître l’entrée de cette caverne, la disposition des environs immédiats. Je vais descendre. Je préviens Jacquot : un coup de sifflet bref et faible, les tirailleurs me rejoindront sans bruit ; un coup de sifflet prolongé, ils dévaleront aussi vite que possible.

Me voilà au pied de la colline, elle est peu élevée, les tirailleurs seront vite près de moi ; c’est presque sur un seul bloc rocheux que j’ai marché, il est facile de ne pas faire de bruit. Je voudrais essayer de saisir Mabiala endormi. À cette heure, les noirs ont le sommeil, profond.

Où est l’entrée de la caverne ? Je me glisse avec le guide ; à quelques pas, il me retient ; son doigt désigne le sol. Tout près de moi, le rocher semble finir brusquement à quelques centimètres de la terre qu’il surplombe. Je me baisse. Cette ligne d’ombre sous le rocher est-elle l’entrée ? Oui, affirme le guide.t On ne peut y pénétrer qu’à quatre pattes. Nous aurons du mal à prendre Mabiala sans combat.

Je m’écarte et siffle doucement. Les tirailleurs observent fidèlement la consigne de tenir leur baïonnette, on ne les entend pas descendre. Dès qu’ils m’ont rejoint, je les dispose en demi-cercle en avant de la caverne : il y a un peu de brousse sèche, j’en arrache pour préparer une torche. Je m’avance avec deux hommes. Je me couche à plat ventre et je regarde dans le trou : pas une lueur de tisons ; j’écoute ; pas le moindre bruit. Il n’y a personne là-dedans. Il faut s’en assurer. Avec les deux tirailleurs nous nous coulons à l’intérieur. Aussi brusquement que je peux, j’allume ma poignée d’herbes. La grotte est vide, inhabitée depuis longtemps.

Je sors et menace le guide ; il m’a trompé.