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projectiles susceptibles de les ramener, sans risquer de se les aliéner. On les bombarde de ballots d’étoffes et de caisses de perles.

Les effets sont immédiats. Instantanément le pays retrouve le calme, les routes fermées se rouvrent. Ainsi apparaît un grand principe d’ordre social : en donnant aux voleurs ce qu’ils désirent, on supprime le vol.

Bientôt, un second massacre se produit, un deuxième bombardement est opéré, semblable au précédent. Et de bombardement en bombardement, l’audace des administrés s’accroît de jour en jour ; en même temps, leur intelligence s’ouvre, à mesure que pénètrent chez eux les produits de la civilisation ; si bien qu’un matin, ils se sentent capables de mettre sur pied une règle de trois : un Européen vaut bien dix miliciens ; or si, pour un milicien assassiné, nous avons tant, nous recevrons dix fois plus pour un blanc massacré.

Quelques heures plus tard, le chef du poste voisin a vécu.

Combien ont péri ainsi, obscurément, sans que leur sacrifice fût connu ! On étouffe le retentissement d’actes glorieux, souvent héroïques, pour sauver la face de l’occupation pacifique.

Les peuples primitifs ne respectent que la force. La bonté, quand elle ne s’appuie pas sur les armes, n’est à leurs yeux que de la faiblesse. Faut-il s’étonner de ce sentiment chez des peuples primitifs admirateurs de la force ? N’en est-il pas de même chez les peuples civilisés ? La pénétration pacifique n’est qu’une forme de la diplomatie, et cette dernière, chez nous, ne vaut que si elle a derrière elle des baïonnettes et des cuirassés.

Apporter la civilisation, supprimer l’esclavage, inaugurer une ère de liberté, et réaliser cela sans heurts, sans verser de sang… Quel beau rêve !

Ce n’est qu’un rêve ! Nous ne cherchons pas en Afrique à améliorer, mais à transformer radicalement ce qui existe. Nous voulons que le pays passe d’un état à un autre état complètement différent ; en un mot, pour appeler les choses par leur nom, nous voulons faire une révolution. Une révolution n’est jamais pacifique ; ceux qui la font sont moins des médecins que des chirurgiens.

Dans toutes les colonies de pénétration pacifique, le résultat a été le même. Toujours il a fallu en venir à l’occupation militaire, nulle part la révolution ne s’est accomplie sans effusion de sang.