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Un brave chef à qui je demandais la raison de son animosité contre les concessions, me répondit par la fable suivante : « J’avais trois femmes ; toutes rivalisaient d’amabilité ; j’étais heureux. Une d’elles mourut ; j’étais déjà moins bien soigné, mais je n’avais pas à me plaindre, elles étaient encore deux, obligées de lutter pour obtenir mes faveurs. Un jour, il ne m’en resta qu’une… elle me rendit la vie impossible, elle ne s’occupait plus de moi ; sûre que mes faveurs n’iraient pas à une autre, puisque je n’avais plus le choix. Vois-tu, ajouta-t-il mélancoliquement, c’est la même chose avec les commerçans. »

Telles sont les difficultés au milieu desquelles un administrateur se débat. On le place dans une situation inextricable, dont il ne sort souvent qu’en y laissant sa vie.

Cette issue est presque fatale, car les événemens suivent un cours logique. Les indigènes se sentent peu de goût pour le travail, c’est-à-dire pour gagner ce qu’ils convoitent, et surexcités par la vue de richesses faciles à s’approprier, puisqu’elles ne sont pas, ou pour ainsi dire pas défendues, ils commencent par voler quelques charges dans un convoi.

L’autorité toujours paternelle ne manifeste d’autres sentimens que l’étonnement d’avoir des enfans si mal élevés.

La tentation vient d’abord, pour les pillards, d’ajouter aux perles et aux étoffes des caravanes, les fusils des miliciens d’escorte. Ceux-ci ne voulant pas abandonner bénévolement leurs armes, les agresseurs se voient forcés de supprimer les miliciens.

L’étonnement en haut lieu devient de la douleur. Quelques esprits subversifs, à tendance militariste, émettent alors l’opinion qu’une répression paraît indiquée.

Une répression ? On manque des élémens nécessaires. Les demander serait reconnaître l’inanité de l’occupation pacifique. Et puis, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! la sagesse des nations le dit, et la fable prouve que la douceur est préférable à la force. Les noirs sont de grands enfans ; on ne fusille pas des enfans.

Les esprits subversifs observent encore que, si on ne fusille pas les enfans, on les fouette. Le fouet est hygiénique, il décongestionne, et le pays semble légèrement congestionné.

Bref, on prend une grande résolution, car, k tout prix, il faut rouvrir la roule : on bombarde les coupables… mais avec des