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Nous ne jouissons pas longtemps de cette fraîcheur. Le soleil monte rapidement. Dans notre sillage, son image se tord, se déforme ; devant nous chaque goutte jette une étincelle. Une branche morte tournoie et dessine de grands cercles miroitans dont l’éclat meurt sur la rive ; un paquet d’herbes arraché par la crue fait une tache qui paraît noire, sur la rivière incendiée ; tout flamboie, les yeux ne se reposent que sur les ombres projetées par les arbres, et ces ombres diminuent peu à peu. A midi elles disparaissent. L’atmosphère est lourde d’une chaleur qui précède l’orage. Il n’a pas encore plu, mais chaque soir le vent devient plus violent : il est temps d’arriver à Kimbédi.


Mon voyage est fini. Abandonnant nos bateaux qui n’avaient plus que quelques kilomètres à faire, j’ai terminé la route à pied.

Deux heures de marche dans une plaine coupée de ruisseaux sans importance, à peu près inhabitée, et sur la rive droite de la Louvizy, un petit affluent du Kouiliou, entre deux collines le poste m’est apparu.

Le poste… quelques cases édifiées à la hâte, puisque Kimbédi n’a encore que deux mois d’existence. Sur la pente douce qui descend vers la rivière, quelques constructions provisoires et sommaires servent d’habitations et de magasins ; au bord de l’eau, un espace défriché est coupé de plates-bandes parallèles, quelques légumes commencent à pousser, des radis se montrent déjà et piquent la terre de points roses.

Dans une de nos paillotes, nos 800 charges sont mises à l’abri ; il ne reste plus qu’à les en faire sortir. Pour le moment, cet espoir semble hasardé, mais si les agens du Congo que j’ai trouvés ici doutent de sa réalisation, ils sont pourtant décidés à m’aider de tout leur pouvoir ; MM. Gros, Jacquot et Fredon ne demandent qu’à mettre leur expérience au service de l’effort prodigieux que nous allons tenter. Car nous n’avons pas seulement à transporter les 3 000 charges de notre mission, mais encore celles destinées à l’Oubangui, au Chari, au Tchad, et même au Congo qui est réduit è la famine comme les autres colonies. Marchand a pris la résolution de tout faire passer, sans oublier la flottille du Haut-Oubangui, du moins ce qu’on