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qu’il voulait une fois prendre la plume et démontrer, dans un savant ouvrage, que Charlemagne n’avait jamais existé… »

« Le bon Sismondi, ajoute Bonstetten, est complètement abasourdi ; il m’avouait hier que tout lui semblait maintenant d’une crasse ignorance, je dus le consoler. »

Quelque douceur qu’elle trouvât dans la société de ces fidèles amis, Mme de Staël ne pouvait cependant s’accoutumer à l’idée que Coppet dût être désormais son séjour habituel, le lieu où elle passerait le reste de sa vie. Déjà, du vivant de son père, elle en redoutait la solitude, et M. Necker était le premier à comprendre que quelques mois de Paris étaient chaque année nécessaires à sa fille. Que serait-ce maintenant ? Aussi ne pouvait-elle s’empêcher d’espérer que la barrière qui lui fermait les portes de Paris serait levée, et cela, par l’intervention de celui qui avait déjà essayé sans succès de la protéger. On se souvient que, de Francfort, elle avait adressé à Joseph Bonaparte une lettre où elle lui disait que deux lignes qui la dispenseraient de voyager plus longtemps seraient reçues par elle « comme la rosée du ciel[1]. »

La réponse de Joseph Bonaparte, qui ne se trouve point dans les archives de Coppet ni de Broglie, ne lui avait probablement laissé aucun espoir, puisqu’elle avait continué son voyage ; mais, pendant que s’échangeait entre eux cette correspondance, la situation de Joseph Bonaparte avait changé et grandi. Le Sénatus-consultedu 28 floréal an XII, qui avait proclamé le Premier Consul empereur, faisait en même temps de son frère aîné un prince impérial et l’un des héritiers éventuels de la couronne. Mme de Staël crut sans doute que le crédit de Joseph devait s’en trouver accru et, dans sa détresse, elle croyait pouvoir s’adresser de nouveau à lui. Elle lui écrivait le 13 juin cette lettre pathétique :

Mon Prince,

Souffrez qu’en reconnaissant en vous, pour le bonheur des Français, un prince, un successeur, une Altesse Impériale, je m’enorgueillisse du temps où vous me permettiez un nom plus doux.

On m’a envoyé de Berlin une lettre où j’ai vu que vous aviez pitié de mon sort ; je le crois le plus malheureux qu’il y ait sur cette terre ; j’ai perdu mon protecteur et mon ami, l’être que j’ai le plus aimé et qui avait

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1914.