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convenance, un défaut de goût du moins à en faire des compagnons de votre vieil âge, à les associer a votre pauvre histoire. Il faut d’autres liens, il faut un autre amour pour trouver du charme dans la faiblesse de l’objet qu’on aime.

Il reconnaît cependant que ce conseil ne saurait convenir à certaines personnes, et, par un retour évident sur lui-même, il termine ainsi :

Si votre premier allié dans la vie remplit votre souvenir, si vous l’avez aimé d’un sentiment qui ne s’éteint jamais, un nouveau lien est impossible. Ne le reconnaitriez-vous pas, cet autel où l’on vous demanderait de poser une seconde fois la main, et ce regard si doux, si tendre et si malheureux, ce regard qui vous a été jeté en passant dans les bras de la mort, vous a-t-il dégagé de votre foi ? Vous a-t-il annoncé que vous étiez libre ? Et quel présent feriez-vous à une âme sensible qui voudrait être aimée comme elle vous aimerait ? Non ! non ! Vivez d’amour encore, mais que le même souvenir fasse à lui seul le sort de votre vie.

Je détacherai encore cette pensée dont le ton et l’inspiration passionnée ne sont pas en accord avec la placidité qu’on prête volontiers à M. Necker. Elle a pour titre : Un Dieu jaloux.

Le souverain bienfaiteur des hommes n’est pas un Dieu jaloux, puisqu’il a introduit dans le monde un sentiment plus fort que la reconnaissance : l’amour.

Un assez grand nombre des pensées de M. Necker, et je suppose que ce sont les dernières, ont la mort pour objet. Il avait dépassé soixante-dix ans, c’est-à-dire l’âge à partir duquel on devrait vivre dans une étroite familiarité avec cette idée, car les années qu’on passe sur la terre ne sont plus que des années de grâce. Il envisageait la mort avec un mélange d’effroi et d’espérance dont l’expression est parfois assez forte et émouvante :

Ne badinons pas sur la mort ; nous ne la connaissons pas, tant la vie est une forte distraction, mais quand elle demande à vous voir, à vous parler en tête à tête, quand elle prend jour avec vous pour la suivre dans les ténèbres, quand elle vous dit de venir et qu’elle ne répond à aucune de vos questions, quel trouble alors doit s’emparer de vous ! Lueurs de la religion, lueurs consolantes, vous apparaissez, et tout va changer.

Un des morceaux les plus longs que Mme de Staël ait recueillis dans les pensées de M. Necker a pour titre : Vade-mecam religieux. L’inspiration en est élevée et la forme n’est pas sans beauté. Ce Vade-mecum se termine par une effusion chrétienne, assez rare sous la plume de M. Necker :