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la veille d’être assiégée, eût méconnu les règles militaires jusqu’à dire à des soldats de vingt ans : « Votre droit est d’être à Paris et de défendre Paris. » Leur seul droit était de se rendre où on les envoyait et d’y faire leur devoir. Il conclut en se levant : « Vous avez commis en faisant cette proclamation un acte de la plus grande indiscipline ; vous auriez dû la soumettre au ministre de la Guerre ; puisque vous n’avez pas cru devoir respecter mon autorité, je dépose mon portefeuille sur cette table et je cesse d’être ministre. »

L’Impératrice, les collègues de Palikao s’émurent et le supplièrent de reprendre sa démission. — « Je ne le ferai, répondit-il, que lorsque le général Trochu aura reconnu l’autorité du ministre. » Trochu riposta qu’il n’avait jamais songé à la méconnaître, et comme toute énergie était impossible au Cabinet[1], convaincu qu’en renversant Trochu on s’exposait à susciter dans Paris une commotion profonde, Palikao reprit sa démission, et l’incident s’apaisa.

Trochu resta finalement en possession incontestée d’un pouvoir anormal, exceptionnel, en dehors des règles, d’autant plus immense qu’il était indéfini, et un second gouvernement s’installa paisiblement, d’abord en face de celui de la Régence, puis insensiblement contre elle.


III

A sa manière, Trochu s’occupa aussi de la France, sans souci de la dynastie. Dans la matinée, il visitait les fortifications, examinait les positions, se rendait compte de l’état des magasins d’approvisionnemens et pressait les travaux de défense auxquels présidaient avec intelligence et dévouement les généraux Chabaud-Latour et Guiod et l’amiral La Roncière Le Noury. L’après-midi, il tenait cour plénière, recevait comme un chef de gouvernement, écoutait un peu, pérorait énormément. Le soir, il se rendait au Comité de défense, communiquait ses observations du matin et pérorait encore. Ces harangues de l’après-midi et du soir étaient toutes sur le mode lugubre, à ce point qu’une fois un des membres du Conseil, le général d’artillerie Billaud, se leva et, croisant les bras sur la poitrine, s’écria : « Mon

  1. Jérôme David (Déposition),