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ici pour un moment notre citation, car il y a là beaucoup de choses en ces quelques lignes. M. Poincaré a parfaitement précisé le rôle du Président de la République tel qu’il a été rempli, avec des nuances différentes, par ses devanciers, et on ne saurait trop l’applaudir quand il dit qu’il veut être le président de tous les Français et qu’il doit avoir le souci constant des grands intérêts nationaux ; mais peut-il, quelque énergie qu’il mette à le vouloir, rester absolument étranger à nos divisions ? Sans doute il n’encourt aucune responsabilité parlementaire, mais quand il ajoute « ou politique, » ce dernier mot aurait besoin d’être défini : personne, en effet, n’échappe à la responsabilité politique de son action ou de son inaction, si on entend le mot dans son sens le plus large et si on l’élève à la hauteur de l’histoire. Il n’est d’ailleurs nullement contraire au principe républicain pris en lui-même que le président exerce une autorité plus grande qu’il n’a pris l’habitude de le faire en France, et il suffit pour le reconnaître de regarder l’Amérique. Le Président des États-Unis n’encourt non plus aucune responsabilité parlementaire, mais il ne décline pas sa responsabilité politique et il ne demeure pas étranger aux divisions de la démocratie. Sans doute les constitutions des deux pays diffèrent : celle des États-Unis est vraiment républicaine, la nôtre est pseudo-monarchique. Ses origines l’expliquent : elle a été une cote mal taillée entre la république et la monarchie. Aussi, à l’usage, ses défauts apparaissent-ils de plus en plus, et l’idée d’une révision nécessaire entre-t-elle dans beaucoup de bons esprits. Nous retenons toutefois un mot de M. Poincaré qui, même avec notre Constitution actuelle, montre qu’il comprend son rôle dans toute son ampleur, car, s’il dit qu’il doit être un arbitre, il ajoute qu’il doit être un « conseiller. » Ses conseils, quand il les donnera, de haut, et il ne le fera certainement que quand l’occasion en vaudra la peine, feront d’autant plus d’effet qu’ils auront été plus rares et plus attendus.

« La France, dit-il, qui a fait la triste expérience du pouvoir personnel et qui ne la recommencera pas, entend se diriger elle-même et contrôler souverainement, par l’entremise des représentans qu’elle se donne, l’action quotidienne des Cabinets responsables. » M. Poincaré a bien raison, nous sommes aussi peu menacés que possible aujourd’hui du pouvoir personnel ; le danger ne paraît pas du tout venir de ce côté, et, à dire vrai, la France en a si peu la préoccupation qu’elle n’y pense même pas : elle ne se reprendrait à le faire que si l’insuffisance d’autorité dans la Constitution actuelle lui faisait de nouveau sentir le besoin d’une action gouvernementale plus éner-