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La place et le temps nous ont manqué, à la fin de notre dernière chronique, pour annoncer l’important et heureux événement qui venait de se produire au Maroc. On savait déjà depuis quelque temps que le général Lyautey préparait une marche sur Taza, et comme les préparations sont chez lui méthodiques et réfléchies, comme il commence par la prudence avant d’en venir à l’acte énergique et décisif, comme il ne laisse rien au hasard de ce qu’il peut lui enlever, le résultat de l’opération n’était douteux pour personne. On n’en a pas moins éprouvé un soulagement joyeux à la nouvelle que les généraux Gouraud et Baumgarten avaient opéré leur jonction et que Taza était entre nos mains. Sans doute, rien n’est terminé, car le pays environnant n’est pas encore occupé et pacifié, mais il le sera, et, s’il faut s’attendre à des retours agressifs de la part des tribus qui ont été surprises par la rapidité de notre marche, les moyens de les réduire ne nous manqueront pas. Le général Lyautey n’y emploie la force que lorsqu’il y est obligé : il lui prépare les voies par la diplomatie, c’est-à-dire par un adroit mélange de séduction et d’intimidation. Des esprits impatiens auraient voulu quelquefois qu’il allât plus vite ; il a préféré aller plus lentement, mais plus sûrement, et il a eu raison. Au surplus, rien n’est plus injuste qu’une telle critique. Nous n’étions maîtres que de la Chaouïa lorsque le général Lyautey est arrivé au Maroc et nous y étions entourés de tribus hostiles qui n’avaient pas encore éprouvé notre force et ne doutaient pas de la leur. Fez était insurgé et assiégé : il y avait de l’aventure dans notre situation. Nous éprouvions une grande anxiété. Le général Lyautey a fait face à toutes les difficultés, les a surmontées, et peu à peu, graduellement, très fermement, il a étendu notre action et affermi notre empire. L’occupation de Taza n’a pas cessé d’être le but qu’il visait, il y songeait depuis longtemps, avant même d’être résident général, alors que, commandant nos forces sur la frontière algéro-marocaine, il rêvait de l’atteindre par cette voie. Les circonstances en ont décidé autrement. Nous ne referons pas une histoire qui, étant d’hier, est encore dans toutes les mémoires ; on sait comment notre effort principal a dû se porter d’un autre côté ; mais, que nous entamions l’affaire par l’Est ou par l’Ouest, il était indispensable et urgent d’établir, par une ligne ininterrompue, les communications du Maroc avec l’Algérie. C’est par l’Algérie en effet que nous pouvons agir sur le Maroc de la manière la plus rapide, et la plus efficace. Il fallait donc occuper Taza. Nous y sommes enfin, et là une nouvelle œuvre commence dont le général Lyautey se rend très bien compte, car il l’a caractérisée par