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obtenir l’autorisation de séjourner à Paris. Comme on l’a vu par sa lettre à M. Necker, Mme de Staël le ressentit. Elle crut cependant plus politique de n’en rien laisser voir, de témoigner en cet ancien attachement dont on lui renouvelait l’expression, une confiance qu’elle n’éprouvait qu’à moitié, et de répondre par l’assurance d’une reconnaissance qui ne paraît pas avoir été très méritée. Le 30 novembre, elle écrivait à Lebrun :

Francfort, 30 novembre.

J’ai été bien touchée, citoyen consul, du petit mot qui m’accusait la réception de ma déclaration. Si vous saviez dans quelle situation elle m’est arrivée, vous seriez bien aise de m’avoir fait un peu de bien dans ce moment-là. Ma fille avait la fièvre depuis huit jours et j’étais dans une auberge avec un médecin allemand, prête à perdre la tête de douleur. Je me répétais souvent que si le Premier Consul m’avait vue dans cet état, il aurait pensé comme moi que l’exil était une douleur presque égale à la mort. Je ne mettrai point mon fils dans une université allemande. La terre étrangère porte malheur. Je l’enverrai bientôt dans une pension à Paris, quelque cruel qu’il soit pour une mère de se séparer de son fils. Ah ! quel mal on me fait, à moi qui n’en ait jamais fait à personne. Je vais à Iéna et à Weimar, pour que mon fils y achève l’étude de l’allemand. Je voudrais n’être pas obligée de continuer ma route jusqu’à Berlin. Je crains que, dans une ville où il y a tant de monde et tant d’affaires, mon nom qui excite de la curiosité ne soit encore cité, quelques soins que je prenne pour l’en empêcher. Si vous pouviez m’écrire que le Premier Consul me laisse revenir, avec quelle joie je renoncerais à tout ce qui n’est pas la France. Mon père est si cruellement affecté de ce qui m’est arrivé que nous nous ferions mal réciproquement en nous parlant, et tant que mon exil durera, je ne dois pas l’attrister par le spectacle de ma douleur. Je ; ne sais donc pas ce que je deviendrai, si le Premier Consul n’abrège pas cette situation. Mon adresse est toujours ici chez MM.  Bethmann banquiers. Ils m’enverront mes lettres. Je resterai encore quinze jours ou trois semaines de ville en ville, avant de partir pour Berlin, espérant toujours qu’il m’arrivera quelques bonnes paroles de vous qui me dispenseront de ce grand voyage. Je fais tous les jours une prière pour qu’une heureuse lettre m’apparaisse. Mettez-vous de moitié dans cette prière. Adieu, citoyen consul, ma reconnaissance vous est déjà acquise. Ajoutez-y s’il se peut mon bonheur[1].

Mme de Staël conservait, on le voit, l’espoir tenace que son exil pourrait être abrégé. Cet espoir se trahit encore dans la lettre suivante que, de Francfort, elle adressait à son fidèle protecteur Joseph :

  1. Archives de Coppet.