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martyre. Un journal imprima dernièrement, au lieu du « Sacre, » le « Sabre » du Printemps. Il n’eut pas tort. Dans cette « coquille » il y avait une perle, tant il est vrai qu’une telle musique est rigide, blessante, et qu’elle fait mal. Tout extérieure, assure-t-on (et déjà ce ne serait point à sa louange), elle ne se propose que d’imiter ou de décrire les dehors ; elle ne veut être musique ni par les idées, ni par les sentimens. Mais par les sensations mêmes elle nous paraît le contraire de la musique : l’anarchie des bruits, au bleu de la hiérarchie des sons. Un matin qu’on répétait l’œuvre de M. Stravinsky, la salle était à peu près vide et de rares auditeurs écoutaient en silence. Au dehors vint à passer un tramway, puis un autre encore, sonnant à pleine trompe. Mais quoi ! Leurs appels entrèrent tout naturellement dans l’universelle dissonance et n’y parurent point déplacés, ou seulement imprévus.

La musique est décidément le plus libre de tous les arts. Que ne nous parle-t-on de son obéissance à la loi des nombres ! Rien de plus facile, pour un musicien, que de l’y soustraire et, sinon de modifier les rapports mathématiques entre les sons, de se comporter au moins comme si les dits rapports n’existaient pas. Tandis que l’architecture de pierre est préservée par le fil à plomb et la perpendiculaire de certaines excentricités, qui sauvera du porte-à-faux l’architecture sonore ? Il y a quelque trente ans, un de nos confrères en critique musicale, un de nos doyens, un de nos « maîtres, » nous demandait avec ingénuité : « En quel ton l’école moderne écrit-elle pour le quatuor ? » Il n’est pas impossible qu’un jour ou l’autre une école de plus en plus moderne écrive, non seulement pour le quatuor, mais pour l’orchestre entier, en plusieurs tons, en tous les tons à la fois. Et cela fera dans la polyphonie instrumentale une révolution près de laquelle les audaces d’un Stravinsky paraîtront jeux de petits enfans. Enfin, et pour dire toute notre pensée, puisque l’avenir n’est à personne, il se peut aussi que le Sacre du Printemps soit dès à présent un chef-d’œuvre, et qu’avant dix années il nous paraisse tel à nous-même. Alors ? Alors le plus sage serait peut-être, non pas de réserver notre jugement, mais d’y contredire, tout de suite, et de prendre, cette fois comme bien d’autres, nos répugnances actuelles pour la preuve anticipée et la garantie la meilleure de nos futures admirations.


Une des « charges » portées au « cahier » qui régit notre Opéra national, consiste dans la représentation, périodique autant