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Les batailles électorales sont, en France, d’autant plus confuses qu’il existe aujourd’hui, non plus deux partis, comme en 1876 et en 1877, mais au moins cinq. La Chambre précédente renfermait en effet neuf groupes divers et même un dixième, ouvert aux députés qui n’étaient « inscrits à aucun groupe. » Dans chaque collège, il n’y a place que pour un seul représentant ; par conséquent, il est presque toujours indispensable, pour triompher, d’obtenir les suffrages de plusieurs partis voisins, ou même quelquefois opposés. C’est en vain que les associations politiques ont tenté de s’organiser, de se discipliner, de défendre des idées claires dans des programmes précis : elles se heurtent, sous le régime majoritaire, scrutin uninominal ou scrutin de liste, à des difficultés insurmontables ; elles doivent se plier aux nécessités d’une stratégie qui les oblige à se rallier tantôt à un candidat, tantôt à un autre, qui ne sont pas les siens. Pour que ces associations remplissent leur tâche, il faut que chacune puisse combattre sous son drapeau et soit assurée d’obtenir un nombre de représentans proportionnel au nombre de ses adhérens, ce qui est impossible, sous le régime majoritaire, lorsque quatre ou cinq partis se mettent sur les rangs.

Ces vérités, si souvent démontrées par l’expérience, viennent de se confirmer avec éclat au cours de la campagne électorale de 1914. Pour en faire comprendre les résultats si affligeans, rappelons dans quelles conditions elle s’est engagée.

Le parti radical avait décidé, au Congrès de Pau du mois d’octobre 1913, de s’organiser en vue des élections générales de 1914. Il était alors très divisé et très diminué ; il avait successivement perdu la Présidence de la Chambre, la Présidence du Conseil et la Présidence de la République, mais il ne s’était nullement découragé et il ne cachait pas son dessein de prendre une revanche. Après avoir élaboré un programme en trois articles bien connus, — la réduction par étapes de la durée du service militaire, l’impôt progressif sur le capital et le revenu avec déclaration contrôlée, la « défense laïque, » — le Congrès avait nommé M. Joseph Caillaux président de son Comité exécutif, en remplacement de M. Emile Combes. Cette élection avait un sens précis : M. Caillaux devait se mettre à la tête des troupes radicales au Palais-Bourbon et engager, dès la rentrée parlementaire prochaine, une lutte sans trêve contre le Cabinet Barthou. La discussion du projet d’emprunt de 1 300 millions a