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et jusque chez les Bayakas, plus sauvages encore. J’ai devant moi des représentans de ces deux races, venus à Zilengoma pour saluer les blancs et opérer quelques échanges. Ces populations ne sont que depuis peu au contact des Européens. Obéissant au mouvement de migration qui semble pousser les peuplades du centre vers la mer, c’est-à-dire vers le commerce, et surtout vers le sel, elles sont descendues des bords de l’Ogooué sur les rives du Niari, refoulant les Bakounis devant elles. Il a fallu longtemps pour les décider à entrer en relation avec le poste, leurs terreurs ne se sont calmées que devant la diplomatie de Fondère, une diplomatie moins faite de paroles que d’actes, fondée sur la fermeté et la justice.

Je suis obligé de constater que si la route de Loango à Brazzaville est fermée par les révoltes, les porteurs circulent librement dans le domaine de la Société d’Etudes. Presque toutes les charges laissées par moi à Manji sont déjà arrivées, et la dernière caravane est annoncée pour demain. Je vais donc pouvoir compléter à 800 charges mon convoi et me remettre en route dans deux jours.

Bien que Castellani soit rétabli, il fera bien de ne pas reprendre sa place au soleil parmi mes caisses, et d’attendre le départ d’un bateau moins encombré où il puisse jouir d’un peu plus de confort. Il a été sérieusement atteint, et je ne sais comment il n’est pas mort sur la route de Kambitchibinga à Zilengoma 1 Profitant de l’état d’inconscience où se trouvait Castellani, les guides Bakounis que je lui avais donnés ont tranquillement vaqué à leurs occupations. Ils avaient, paraît-il, quelques courses à faire dans les environs, quelques amis à visiter le long du chemin, et, remorquant à leur suite porteurs et hamac, sans s’inquiéter de ce que contenait celui-ci, ils ont trimballé mon malheureux peintre de village en village, s’arrêtant, le déposant dans un coin comme un colis encombrant, si bien que d’une étape ils en ont fait trois ! Comment Castellani a-t-il vécu ? Il l’ignore. Il ne croit pas avoir mangé ; de temps en temps, on posait tout de même près de lui une calebasse pleine d’eau ; mais, la fièvre aidant, il était convaincu qu’on se préparait à le manger. Il ne réfléchissait pas que les Bakounis ne sont pas anthropophages et que s’ils avaient eu l’intention de le dévorer, ils auraient commencé par l’engraisser, au lieu de le faire jeûner. Lorsqu’il fut recueilli par les deux Européens