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Le dernier rapide de Milonga me ménageait encore une émotion. Un des boats loangos, voulant éviter un rocher, oblique trop ; il est empoigné par le courant, et les hommes qui le halent, entraînés par la violence du torrent, ne pouvant résister, lâchent le câble. Le boat file en tournoyant, emportant le maladroit percheur affolé. Si l’amarre s’accroche entre deux rochers, nous aurons une réédition du sauvetage d’hier. Je crie au percheur de couper la corde. Au même instant, celle-ci se tend, elle est prise. Mais le Loango, qui s’est ressaisi, d’un coup de hache tranche l’amarre. Il était temps ! Le boat libre finit par aborder un peu plus loin sans encombres ; encore une fois, les charges l’ont échappé belle !

Enfin, voilà le rapide de la M’Tigny, le dernier ! Les équipes, en apercevant le terme de leurs peines, donnent un furieux coup de collier. En un tour de main, les boats sont déchargés, halés, rechargés ; c’est fini !

Hélas ! au-dessus de la chute que nous venons de franchir, un rapide très violent barre toute la rivière ; il n’y a de passage que sur la rive gauche, et nous sommes sur la rive droite. Jamais les Loangos n’arriveront à traverser dans un courant pareil, à 100 mètres de la chute ! Ils seront entraînés, et adieu tous nos efforts ! nous échouerons au but.

Il faut cependant essayer. Les Loangos sont réunis et je les invite à regarder la manœuvre. Je lance les Cap-Lopez, ceux-ci, sans inquiétude. Ils remontent le long de la rive droite, à l’abri du courant ; puis au commandement : « Coupe ! » le boat oblique. Au moment où l’avant entre dans le torrent, le demi-tour est instantané, malgré l’homme de barre arc-bouté sur son aviron de queue ployé comme un arc. Si l’aviron cassait ! Les hommes pagaient avec rage, le boat, tout en redescendant vers la chute, emporté comme un fétu, reprend une oblique, et aborde presque en face du point de départ.

Cette fois, les Loangos ont compris qu’il ne serait pas prudent de dormir. Ils se décident à souquer, et ils exécutent les commandemens en vrais marins. A trois heures, tous ont passé ; à mon tour, je traverse avec les Bassas.