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d’Afrique le seul à qui pareille chose arrive. De cela, Moussa, je lui sais gré ; bien que ce soit sûrement malgré lui. S’il ne rencontre pas de rochers sur sa route de sable, il n’y est pour rien ; mais au-dessus de Kayes, souviens-toi ; il se conduit comme les autres.

Moussa cherche une excuse à son fleuve. Comme il ne la trouve pas, je la lui fournis généreusement :

— Consolons-nous. Toutes ces chutes sont probablement destinées à pourvoir un jour l’Afrique d’électricité. Croyons-en le bon La Fontaine : Dieu fait bien ce qu’il fait.

Mais Moussa, qui ignore la houille blanche, aussi bien que La Fontaine, ne m’entend plus, il est retourné à ses fourneaux, me laissant à mes réflexions sur les forces inemployées, sur les réserves d’énergie dont dispose l’Afrique. Quelques lucioles voltigent autour de nous, petites étoiles mouvantes, elles protestent contre l’éclairage électrique que je viens d’évoquer. Puis-je désirer que des usines abîment ce paysage, que le travail de l’homme enlaidisse celui de la nature ?


Le jour est levé depuis deux heures, et j’attends toujours le boat retardataire. Il se décide à paraître vers neuf heures. Je fais une exécution ; je dégrade le contremaître et en nomme un autre à sa place, puis nous partons.

A deux heures, un barrage de plusieurs mètres dresse devant nous sa ligne d’écume, son rideau de poussière liquide ; ce sont les cataractes de la Moutima. Pas la moindre chance de les remonter le long de la rive gauche. Nous explorons la rive droite. Le Niari y creuse une anse qui communique, par une porte* formée de deux très gros rochers, avec un petit bassin où la chute est déviée par un promontoire rocheux le long duquel elle glisse. Ici, la chute est moins brutale, elle s’allonge sur plusieurs mètres, elle n’est plus qu’un torrent, mais ce torrent roule une énorme masse d’eau avec une terrible vitesse. Je n’ai pas le choix. Il faut passer ici, ou encore une fois traîner les baleinières à sec, comme à Koussounda. Une première difficulté nous arrête : la porte formée par les deux rochers est trop étroite ! Toutes les charges sont débarquées, et les boats allégés, tirés d’un côté, poussés de l’autre, soulevés, mis de travers, finissent par retomber dans le petit bassin.