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sans nos Loangos ! Ils jugent que la récompense ne consiste pas uniquement à déposer des provisions au fond d’un bateau, mais à les manger le plus tôt possible. Et la rivière prenant une allure plus facile, pendant que je file à grands coups de pagaies avec mes Bassas, suivis des Cap-Lopez, les Loangos se laissent distancer et s’arrêtent pour festoyer. A midi, lorsque je fais halte, ils sont loin derrière moi.

En les attendant, je profite d’un épanouissement du Niari qui crève les berges de petites criques, pour pêcher à la dynamite. Cette pêche remplit de joie mes payageurs. Castellani, qui semble remis de sa fatigue, n’est pas moins heureux qu’eux ; il s’exerce à amorcer les pétards et à les lancer, je suis obligé de le modérer.

Enfin, à quatre heures, les Loangos apparaissent ; ils mettent leur retard sur le compte d’une avarie : la quille en fer d’un de leurs bateaux a sauté. Je ne suis pas dupe de ce prétexte.

Il est vrai cependant que la bande de fer n’existe plus. Le boat déchargé, retourné, je constate, après examen, qu’il peut continuer à naviguer ; il faudra seulement le surveiller.


Au réveil, au moment où je commande le départ, on m’annonce qu’une des baleinières est pleine d’eau ; c’est celle qui a descendu la chute de Koussounda et s’y est crevée. Les chocs successifs subis depuis ont soulevé la plaque de zinc qui bouchait le trou, et arraché l’étoupe. Je fais une nouvelle réparation, et ce bateau ayant droit à des égards, je l’allège d’une partie de ses charges que je répartis entre les autres équipes.

Le Niari reste calme, nous avançons rapidement, les Cap-Lopez scandent de chants leurs coups de pagaie, je me laisse bercer par le mouvement, par la mélopée ; le soleil lui-même se fait clément, il s’est voilé de nuages. Souvent, pendant la saison sèche, au Congo, il disparait ainsi ; on dirait d’un ciel d’orage, la lumière est à la fois plombée et cuivrée, mais ce n’est qu’une apparence, la pluie ne tombe jamais avant l’époque fixée par la marche des saisons. Celles-ci sont réglées par la marche du soleil ; entre les deux points extrêmes de sa course, il apporte la pluie à toutes les longitudes par lesquelles il passe. Ici, par conséquent, le prochain équinoxe ramènera l’hivernage. Nous avons encore deux mois de sécheresse.