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de la chute. C’est grâce a l’un de ces contre-courans que nous sommes parvenus assez facilement là où nous sommes. Mais maintenant ?…

Je suis d’avis de traîner les bateaux à travers l’amoncellement de rochers. Pondère, qui nous a accompagnés jusqu’ici, veut tenter le passage par eau. Quelle force humaine pourrait d’un seul coup enlever une de nos lourdes baleinières en bois au-dessus de cette vague ? Essayons.

Les 75 pagayeurs sont attelés au câble, dont l’extrémité, pour plus de sûreté, est amarrée à un rocher. A un coup de sifflet, ils se raidissent dans un effort violent, mais le boat est saisi par la cataracte, retourné comme une coquille de noix ; les hommes entraînés lâchent le câble qui se tend brusquement, et se brise comme une paille. La quille en l’air, le bateau tournoie ; il va sûrement se fendre contre les rochers qui disparaissent et reparaissent sous l’écume. Heureusement, un courant favorable le fait évoluer entre les écueils ; virant sur lui-même, traçant une serpentine, il file vers la sortie du couloir et va s’échouer dans le bassin au milieu des petites lames qui lèchent doucement les bancs de sable.

J’avais raison : il n’y a qu’un moyen de franchir l’obstacle, traîner les embarcations à travers le chaos de rochers où nous avons pris pied. Nous disposons quelques troncs d’arbres, de façon à établir une sorte de glissière, une succession de glissières plutôt, car cet amas de rocs est informe. Pour passer d’un morceau de glissière sur un autre, les bateaux devront exécuter toute une gymnastique, dont j’ai bien peur qu’ils ne sortent pas indemnes !

L’opération commence. Derrière eux, les boats laissent de longs copeaux ; leurs flancs se zèbrent de blessures, heureusement elles ne sont que superficielles ; ces embarcations, construites pour franchir la barre, sont résistantes. Mais du dernier rocher sur lequel on peut les amener, elles sont obligées de retomber à l’eau, exactement à la tête de la chute. Un manque d’ensemble des pagayeurs à ce moment, et le torrent prendrait sa proie.


Les sept baleinières ont passé et sont rechargées. Une seule a souffert, celle qui a été d’abord submergée par la chute. Sa coque s’est crevée ; avec un morceau de zinc coupé dans une