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à des dizaines de mille francs, à des centaines de mille francs, à davantage même encore, c’est une pratique qui n’est pas inconnue actuellement. Nombre de particuliers s’y livrent, notamment parmi les gens modiquement fortunés. En province, il n’est pas rare que des particuliers aisés ou riches aient une bonne partie de leur fortune en valeurs au porteur dans une cachette à leur domicile. Ils courent le double risque du vol et de l’incendie. Mais si les craintes d’impôts exorbitans soit sur le revenu, soit sur les successions, prennent un haut degré d’acuité, beaucoup de gens se résigneront à ces risques. La prime d’assurance pour s’en couvrir, c’est-à-dire le paiement d’impôts arbitraires toujours accrus, peut apparaître comme tellement forte qu’on la considère comme inacceptable. Aujourd’hui, des gens aisés ou opulens ont parfois chez eux pour non seulement des dizaines de mille francs, mais des centaines de mille francs, de bijoux ou d’objets de collection ; on peut thésauriser aussi les valeurs mobilières au porteur ; il y a des coupures de titres de 500 livres sterling ou de 1 000 livres sterling, soit de 12 500 francs et de 25 000 francs. Un paquet modique de ces grosses coupures peut représenter 500 000 francs et même 1 million ou davantage.

Que cette thésaurisation de titres au porteur constitue une imprudence, cela est possible ; cela, toutefois, dépend du taux des impôts et du degré d’arbitraire, de la variabilité de ces impôts. Puis, il peut se former des combinaisons d’assurances pour couvrir, en pareil cas, les risques d’incendie et de vol. Déjà, les assurances sur le vol commencent à se répandre : elles ne peuvent guère s’appliquer efficacement, aujourd’hui, au cas dont il s’agit ; mais des modifications qu’on peut entrevoir pourraient les adapter à cette nature spéciale de sinistres.

Il est sage pour tous les intéressés, Etat et contribuables, de prévenir le retour à ces pratiques des temps troublés, refuge extrême des gens d’ordre et prévoyans contre l’oppression et l’arbitraire des pouvoirs publics. La seule méthode pour éviter ces maux, c’est que la fiscalité tienne compte du tempérament national, qu’elle se montre rassurante, au lieu de menaçante, qu’elle s’impose à elle-même un frein et une mesure, qu’elle suive des règles fixes ; or, cela ne peut exister dans une société démocratique encline à la démagogie que par des impôts strictement réels, excluant toute recherche personnelle.