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tagne, auront barre sur leurs collègues radicaux après avoir assuré leur réélection et ils formeront ensemble un bloc très inquiétant. Les socialistes auront pour la première fois l’impression qu’on ne peut pas se passer d’eux et que, dès lors, ils sont les maîtres. Si on veut un exemple d’un état de choses analogue, on le trouvera de l’autre côté du Détroit, en Angleterre, où les Irlandais, devenus eux aussi indispensables, dictent la loi au parti radical au pouvoir. Nos voisins sentent les inconvéniens de cette situation : nous les sentirons comme eux, car il faut s’attendre à ce que les socialistes usent et abusent de leur force. L’œuvre de la législature qui s’ouvre consistera dans la lutte entre les élémens de conservation qui restent encore debout et les élémens de révolution qui aspirent à les renverser ; nul en ce moment ne peut en prévoir le dénouement.

Pour en venir là, il n’a pas fallu aux radicaux et aux socialistes un grand effort d’invention : ces partis plus ou moins révolutionnaires sont en un sens les plus traditionalistes de tous, les plus soumis à la vieille discipline, les plus dociles aux antiques habitudes. Se désister, après un premier tour de scrutin, en faveur de celui qui a eu le plus de voix était une règle parfaitement légitime lorsqu’il ne s’agissait, en somme, que de savoir si on ferait la République ou la Monarchie. Dans cette première phase historique, où une seule question était posée et où elle était simple, l’union au second tour de scrutin, lorsqu’on n’avait pas pu la faire au premier, s’imposait comme une condition vitale et elle était fidèlement observée. Aujourd’hui, l’obligation est-elle la même ? Non assurément, et c’est confondre les temps, les besoins, les devoirs que de la maintenir lorsque tout est changé. Mais en France rien ne vit plus longtemps qu’une consigne : on y fait une révolution pour renverser un trône, mais devant un vieux mot d’ordre, on s’incline et on obéit passivement. Nous sommes très loin aujourd’hui d’avoir affaire à une seule question et à une question qui soit simple : une vingtaine se dressent devant nous et quelques-unes d’entre elles sont très complexes. Vouloir, même à un second tour de scrutin, faire sur elles l’impossible union du parti républicain est une gageure ingagnable. Si la République était elle-même en péril, il serait tout naturel de revenir à la concentration, mais tout le monde convient qu’elle ne l’est pas, que rien ne la menace, qu’elle est plus solide que jamais. Les préoccupations véritables sont ailleurs : elles portent sur le service de trois ans, sur la réforme fiscale, sur la réforme électorale, sur la Liberté de l’enseignement. Voilà les questions qui divisent l’opinion et la passionnent,