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tête d’un groupe intrépide de dix autres gentilshommes, est venu s’installer pendant quatre mois à l’hôpital de Sienne, afin d’y soigner tendrement, nuit et jour, la foule des indigens atteints de la peste, j’imagine que plus d’une fois son grand modèle et devancier ombrien lui sera apparu avec un affectueux sourire paternel, le félicitant de n’avoir pas réussi, naguère, à avaler cette bouchée de salade qui voulait l’empêcher de se vouer tout entier au service des pauvres.


Les biographes de saint François s’accordent à regretter que personne, parmi les contemporains, n’ait eu l’idée de prendre par écrit et de nous transmettre les discours enflammés de l’apôtre-poète. Mais je ne puis me défendre de penser qu’une partie au moins de cette fâcheuse lacune se trouverait comblée, pour le lecteur français, par une bonne traduction de la touchante série des sermons populaires siennois de saint Bernardin, prononcés en présence d’une foule énorme sur la Grand’Place de la cité de la Vierge, entre le 14 août et le 30 septembre de l’année 1427. Il y avait alors à Sienne un certain maître Barthélémy, tondeur de laines, qui « ayant une femme et plusieurs enfans, et ne possédant que fort peu de biens, mais beaucoup de vertus, s’est, pendant quelque temps, relâché de son travail et s’est mis à recueillir par écrit les sermons du saint de verbo ad verbum, ne laissant aucune parole qu’il ne l’écrivit telle que le saint la disait. » Debout au pied de la chaire de planches adossée à l’un des coins de la façade rouge du Palais Public, ce maître Barthélémy « écrivait avec un stylet sur des tablettes de cire ; et puis, le sermon achevé, il s’en retournait à sa boutique et copiait sur un cahier tout ce qu’il venait ainsi de noter, de telle façon que, ce même jour, avant de se remettre à son travail ordinaire, il se trouvait avoir écrit deux fois le sermon tout entier. » Après quoi le premier éditeur de la série de sermons croit devoir nous affirmer de nouveau que, par un vrai miracle de zèle chrétien, son digne ami le tondeur de laines est parvenu à « conserver jusqu’au moindre petit bout de parole échappé de la sainte bouche du bienheureux Bernardin ; » et le fait est qu’il nous suffit d’ouvrir au hasard le vénérable recueil pour avoir aussitôt l’illusion d’être nous-mêmes admis à entendre et à voir l’orateur franciscain, merveilleusement vivant auprès de nous avec les mille nuances expressives de son accent, de ses gestes, des jeux de son visage. Du haut de sa chaire improvisée, c’est à nous que s’adressent ses tendres appels ; et d’où vient donc le mélange tout particulier d’émotion et de ravissement qu’ils répandent en nous, sinon de ce que, dans chacune