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Messénis et Béreuil confirme toutes nos appréhensions, et même les dépasse. Gaétan trompe sa femme pour une danseuse ; la liaison est publique et il n’est bruit dans Paris que des prodigalités de cet amant magnifique. A ce train, la ruine est inévitable et elle est prochaine. Pis que cela. L’heure du désastre a sonné. Une lettre anonyme annonce à Juliane que l’homme dont elle porte le nom va être poursuivi pour escroquerie. L’infortunée, qui jusqu’ici n’a rien soupçonné et qui tient son mari pour le plus honnête des hommes et le plus irréprochable des maris, croit d’abord à une mauvaise plaisanterie, à une farce sinistre. Gaétan aurait commis des détournemens, fait des faux ? Pourquoi ? Il n’a pas de besoins d’argent. Les dépenses de la maison n’excèdent pas les revenus. Il n’a pas de maîtresse… Ainsi, quand s’annonce une catastrophe, nous nous remettons devant les yeux toutes les raisons que nous avons de n’y pas croire ; mais il y a autour du malheur une atmosphère spéciale, qu’on respire, et qui, tout imprécise et insaisissable qu’elle soit, a tôt fait de détruire notre assurance… D’où vient que Séverin et Messénis ne partagent pas son indignation contre ce ridicule et odieux papier ? Que savent-ils qui leur fait accorder quelque créance à cette lâche mystification ? Hélas ! le danger existe donc, puisque tous deux partent pour Paris afin de le conjurer et d’arrêter, s’il y a lieu ou s’il y a moyen, le scandale et le désastre !

Au second acte, les pauvres ambassadeurs sont revenus, et revenus bredouille : il était trop tard. Déjà des policiers ont pénétré dans la maison pour s’assurer de la personne de Gaétan. Soudain le voici lui-même. A cet instant critique où les minutes, les secondes sont comptées, un dialogue haletant s’engage entre son beau-frère et lui. Qu’est-il venu faire ? La situation est de celles qui n’admettent qu’une solution. Il est impossible qu’il quitte la maison entre deux gendarmes, et traîne en justice et au bagne un nom jusque-là honoré, le nom de sa femme innocente et de ses deux malheureux enfans. Le suicide est, en pareil cas, la seule porte de sortie. Sans doute il va faire le geste libérateur… Mais non. Ce misérable tient à sa peau. Il est venu chercher de l’argent, pour gagner ensuite la frontière. Il compte sur Séverin pour protéger sa fuite… Quelques brèves répliques qui s’entre-choquent comme les coups dans une lutte. Séverin pousse son beau-frère dans la pièce voisine. Nous entendons une détonation. Gaétan est tombé raide mort d’un coup de pistolet ; mais nous savons bien que ce n’est pas lui qui a pressé la détente.

« Ton mari s’est cru perdu ; il t’aimait, il n’a pas voulu déshonorer ses enfans : il s’est tué. » Voilà sans doute ce qu’aurait dit à sa sœur