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compositions leur prête l’apparence du transitoire. Presque toujours l’objet principal, au lieu de se trouver vers le centre, apparaît seulement dans le champ de la vision, ou va en sortir : c’est très sensible dans la Fête de nuit, par exemple. Nul n’a groupé de façon plus imprévue, ni n’a fait ses groupes plus mobiles. On dirait, sans cesse, qu’ils vont se disjoindre pour se reformer plus loin : c’est le prodige de la vie. Avec cela, une palette de grand coloriste. L’œuvre de La Touche est celle qui inspira le moins de théories : c’est qu’elle n’en a pas besoin. Elle se comprend tout de suite, se goûte au premier essai, exalte et réjouit en nous le sens de la matière colorée. S’il est vrai que la grandeur d’un art se mesure au degré de résistance qu’elle provoque dans la foule, et aux efforts qu’il faut pour la comprendre, l’art de La Touche ne vaut guère. Mais on pourrait en dire autant de celui de Mantegna, du Titien, de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Rubens ou de vingt autres des plus grands, qui furent compris et acclamés par tout le monde, tout de suite. Le critère n’est donc pas sûr et il n’est pas prouvé qu’une œuvre ne soft, dans l’avenir, admirable qu’autant qu’elle a commencé par longuement horripiler les contemporains. Admirons donc, sans crainte, celle de La Touche, et saluons, en le quittant, ce royaume de la Fantaisie où il découvrait, chaque année, une province nouvelle, — et où il ne nous conduira plus.

Qui se partagera ce royaume ? On voit, aux Champs-Elysées, trois œuvres qui semblent nées sur ses frontières : La Grenouille ou la Coiffure interrompue, de M. Domergue, les Divertissemens dans un parc, de M. Paul-Albert Laurens, et la Treille, de M. Raoul du Gardier. On en voit trois autres qui n’en sont pas trop éloignées, non plus : La merveilleuse promenade, de M. Henri Montassier, Carnaval, de M. Webster, et la Fête de nuit, de M. Clovis Cazes. Mais ces œuvres, malgré leurs qualités, servent surtout de contre-épreuves et nous montrent à quel point était supérieur, en naturel, en fantaisie, en richesse décorative, le Maître que nous avons perdu.

Le seul peintre qui, dans ces deux Salons, nous donne un bel exemple de peinture décorative, claire, aérée, plaisante à l’œil, c’est M. Maurice Denis. Et pas plus que La Touche, il ne s’inquiète de figurer la vie contemporaine. En retrouvant, un jour, cette suite de panneaux sur Nausicaa (salle X), par M. Maurice Denis et cette grande figure d’Hercule au jardin des