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nationale, dont la compagnie est composée d’honnêtes épiciers et marchands du quartier de la place Vendôme et de la rue de la Paix, autant dire les gens les plus tranquilles de la capitale, aimant l’ordre et le repos, surtout avec un enthousiasme tout à fait civique : « Oui, j’ai figuré, m’a-t-il dit, dans cette espèce de farce politique qui fut pour moi une véritable campagne, dont je suis à peine remis. A huit heures du matin, après avoir fait battre le rappel à trois reprises, je n’ai pu rassembler que soixante et douze gardes sur près de trois cents placés sous mes ordres. Tous les capitaines de ma connaissance se sont trouvés dans le même cas. Malgré cela, nous avons pu encore former deux pelotons à quinze files de trois hommes et partir ainsi pour Neuilly, afin d’escorter le char. Comme notre légion est la mieux pensante de Paris et très dévouée au maintien de l’ordre, on nous mit à la tête du cortège. Aux Champs-Elysées, en passant devant le front de la 5e légion qui est très révolutionnaire, nous fûmes insultés et provoqués. Formant la haie pour nous protéger contre la populace, elle entonna la Marseillaise et cria : « Voilà la première légion ! A bas les carlistes, les aristocrates, les traîtres ! » Une réponse à ces excitations aurait pu déterminer une lutte, un conflit, un combat sanglant entre une légion et l’autre ; ce danger me fit trembler. La 4e, la 5e, la 6e, la 7e, une partie de la 11e et toute la 12e crièrent : « A bas Guizot ! à bas les traîtres ! vive l’Empereur ! » Ce dernier cri, cependant, fut assez rare parmi la garde nationale, tandis qu’il était assez fréquent parmi la populace. Deux de mes hommes sont presque morts de froid, je les ai laissés à la porte du bois de Boulogne aux mains d’un chirurgien. Beaucoup se sont grisés, au point de ne plus pouvoir suivre leurs camarades.

« Arrivés sur l’esplanade des Invalides, on voulut nous faire faire par file à gauche et nous mettre en bataille derrière les gardes nationaux de la banlieue d’où nous ne pouvions plus rien voir. Indignés, mes hommes se débandèrent, malgré nos cris, nos prières. Le duc de Marmier, commandant de notre légion, cria, pria, conjura et finit par nous haranguer en ces termes : « Messieurs, c’est une conduite indigne de votre part. Comment ! la garde nationale de Paris va rentrer chez elle avant d’avoir présenté les armes à l’Empereur ! C’est ignoble ! » Vaines paroles : la déroute fut complète, tout le monde se sauvait en ricanant. Je n’avais plus derrière moi que seize fidèles. Parmi