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étaient inondés de lumière et, à travers les grandes croisées, l’on voyait des feux d’artifice apparaître et disparaître, tour à tour, au milieu d’arbres centenaires : on en était tout ébloui.

Le bal des roses chez lady Granville, a été magnifique d’élégance, de magnificence et de profusion en tout genre. Deux mille personnes circulaient, d’un côté, dans les bosquets de roses, à perte de vue, et, de l’autre, dans des appartemens richement dorés et splendidement éclairés. Cette fête a duré jusqu’au lever du soleil, dont les rayons n’éclairèrent que le jardin et ne purent pénétrer dans les salons, tant étaient épais les rideaux et les ‘ voûtes de roses et de feuillage qui lui en défendaient l’entrée.

Les femmes, tout en voyant naître le jour, n’en furent point éclairées, chose si désagréable et si désavantageuse pour les plus fraîches, les plus belles ; grâce à la magie des lumières, elles restèrent fraîches et belles, même après le cotillon, et l’adorateur le plus exigeant avait encore lieu d’être satisfait, en admirant l’éclat et la beauté de sa belle jusqu’au dernier moment. Les adorateurs autant que les adorées doivent être reconnaissans à lady Granville, de son arrangement si fastueusement spirituel.

La princesse de Liéven, après avoir mis longtemps à se décider, a pris, enfin, le parti d’aller passer une partie de l’été à Baden, avec Mme la duchesse de Talleyrand. Cette pauvre princesse est bien la personne la plus malheureuse du monde Elle ne vivait et ne respirait que pour les intrigues. Une fois lancée en dehors de ce cercle, elle se meurt d’ennui et de désespoir. Je ne crois pas qu’elle puisse survivre longtemps au chagrin de ne plus pouvoir agir. Elle avait cru que MM. Guizot, Thiers et consorts reviendraient au pouvoir : dans ce cas, elle se serait réservé, ou bien on lui aurait peut-être accordé quelque simulacre d’influence ; mais aujourd’hui, où nous avons un ministère tout à fait en dehors des combinaisons Thiers et Guizot, la pauvre princesse n’a plus de point d’appui pour tramer quelques intrigues politiques. C’est une grande expérience pour moi, que d’avoir suivi cette femme depuis l’apogée de sa toute-puissance jusqu’à sa décadence ; elle me fait une véritable pitié.


13 juin. — Le Roi fait, en ce moment, remettre à neuf le château de Saint-Cloud ; j’y suis allé dernièrement avec