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de romance, au goût des Parisiens de 1864, très friands d’opéra-comique. La Mireille du musicien s’est incarnée au théâtre dans la personne et avec les moyens de Mme Miolan-Carvalho. Ce que le nom de Mireille, attaché désormais à une tradition aussi décente, ramène au souvenir, ce n’est pas la fleur du buisson sauvage, qu’une brise matinale a fait épanouir, et que le hâle d’un seul jour d’ardent soleil desséchera. Ce serait bien plutôt quelque belle demoiselle d’Arles, tenant en main ses Heures d’Avignon. Qui ne la voit sortir du porche de Saint-Trophime ? Malgré ses yeux baissés, on la devine impatiente d’être vue, entre deux amies moins jolies, mais parées comme elle, sur la route des Aliscamps, ou d’aller assister, dans les Arènes antiques, transformées pour la circonstance en théâtre forain, à quelque fête populaire : ce serait, aujourd’hui, une corrida de toros, bien espagnole. Qu’il y a loin de cette jeune personne à la villageoise ingénue et ardente que Mistral a voulu nous peindre, et qui vit et qui meurt dans son poème si païen et si chrétien, si réaliste et si mystique ! Il faut relire ce poème avec des yeux naïfs et frais, et lavés, s’il se peut, des images très infidèles, sur lesquelles ils se sont fixés.

Dans la dédicace de son poème imprimé[1], qu’il présentait à Lamartine avec l’expression de son immense gratitude pour l’accueil fait au manuscrit, Mistral disait du livre de Mirèio : « C’est mon cœur et mon âme, c’est la fleur de mes ans. » Il n’y a pas d’expression qu’il faille davantage retenir. Remontons, pour nous l’expliquer, aux premiers gestes poétiques du jeune homme de Maillane.

Dès l’époque des Margaridetto (1847), Roumanille citait, en épigraphe des vers de son disciple : une strophe des « Sept Psaumes » et un fragment de traduction d’une fable de La Fontaine, la Cigale et la Fourmi. Ce ne sont là que les essais, sans gaucherie d’ailleurs, de l’écolier. Mais le premier recueil collectif de 1852, les Provençales, — on ne l’a pas oublié, — contient dix pièces de vers de Mistral. Le poète, qui va écrire Mirèio, est là, comme avant la fleur, avec ses aspirations, ses aptitudes, son acquis, où perce l’originalité. Son conte des Trois Conseils, Li tre Counsèu, avait passé et aurait dû rester dans le recueil des Iles d’or, qu’il ne déparait pas. Son ode de La folle-avoine,

  1. 2e édition.