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retards, les entraves, l’élan repris, tout le détail de la manœuvre, ponctuée par les paroles du Pater, que profère le maître ! La légende du coup de fusil, tiré sur le Christ en 1830, termine cette introduction d’une beauté magistrale.

L’impression de grandeur se retrouve encore au chant III, dans le tableau si ample et si coloré des troupeaux transhumans. Mais c’est un pittoresque agréable et piquant qui est surtout répandu dans l’ouvrage : la rencontre de la flottille remontante et les propos échangés ; l’entrée, au ponton de Valence, des Vénitiennes fantasques avec leurs cavaliers, portant tambour de basque, violon et mandore ; le radeau de bois descendu de l’Isère ; l’embarquement des violettes ; le salut aux rochers célèbres, aux vignobles fameux, au mont Ventoux ; entre deux récits de légendes, l’apparition de la chiourme des forçats ; la révérence au Saint Nicolas du pont de Bénézet ; la bataille d’injures, à propos des filets tendus dans le milieu du fleuve ; le grouillement du champ de foire avec ses marchands, ses étalages, son artiste tatoueur, ses badauds, ses coquins, ses aubaines, ses traquenards ; et le halage à la « remonte ; » et les dispositions en prévision du gros temps ; et la ripaille des Condrillots ; et ce qui suit, jusqu’à la collision, jusqu’au lugubre dénouement. Tout cela mis en scène, ou raconté, ou commenté avec effusion, comme par quelque Homéride au ton familier, dont les paroles abondantes et pleines de douceur ressemblent à la neige s’entassant sur la montagne, un jour d’hiver, ou au nuage d’éphémères descendant, par un soir d’été, sur les rives du fleuve. Le Pouèmo dou Rose passe en beauté, et de beaucoup, Nerto, la Reino Jano. Peut-être, sans y faire effort, va-t-il plus loin que Calendau et ses élans lyriques ? On s’attarderait volontiers à contempler, sur toutes ses facettes, ce joyau de la couronne poétique de Mistral ; mais il y a Mirèio.


III

Parmi, les œuvres de Mistral, Mirèio est, à la fois, la plus célèbre et la plus inconnue. On ne peut plus la voir qu’à travers les déformations regrettables qu’elle a subies. Le compositeur Charles Gounod, avec la complicité d’un arrangeur dramatique, Jules Barbier, et sous le regard, non pas étonné, mais ravi, de Frédéric Mistral lui-même, a fait apparaître une Mireille