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riche nature de femme, les idées générales et ce qu’on nomme philosophie.

Il rapporte ensuite une anecdote dans laquelle il reconnaît qu’il ne se montra pas toujours très aimable avec Mme de Staël :

Une autre historiette fera également voir combien il était facile et agréable de vivre avec elle, quand on entrait dans sa manière. À un souper chez la duchesse Amélie où il y avait beaucoup de monde, j’étais placé loin de Mme de Staël, et cette fois encore, je demeurais silencieux, et ce soir mes voisins de table me le reprochèrent et cela causa un petit mouvement dont le sujet finit par être connu des hauts personnages. Mme de Staël entendit qu’on me reprochait mon silence ; elle s’exprima là-dessus comme à l’ordinaire et ajouta : « Pour moi d’ailleurs, je n’aime pas Goethe s’il n’a pas bu une bouteille de Champagne. » Sur quoi, je dis à demi-voix, de manière à n’être entendu que de mes plus proches voisins : « Il faut donc que nous ayons déjà bu parfois un petit coup ensemble. »

Enfin il conclut ainsi :

Quoi qu’on puisse dire et penser des rapports de Mme de Staël avec la société de Weimar, ils furent certainement d’une très grande portée et d’une grande influence pour la suite. Son ouvrage sur l’Allemagne, résultat de ces conversations familières, fut comme un puissant instrument qui fit la première brèche dans la muraille chinoise d’antiques préjugés élevés entre nous et la France. On voulut enfin nous connaître d’abord au-delà du Rhin, puis au-delà du canal, ce qui nous assura inévitablement une vivante influence sur l’extrême Occident. Nous devons donc bénir cette gêne et le conflit des individualités nationales qui nous semblaient alors incommodes et tout à fait inutiles.

C’est plutôt dans ces lignes, écrites bien des années après, qu’il faut chercher le jugement définitif de Gœthe sur ses rapports avec Mme de Staël. J’ai trouvé du reste, dans les archives de Coppet, trace de ces rapports sous une forme qui ne semble point indiquer que Gœthe en eût conservé un si mauvais souvenir. La duchesse Amélie avait auprès d’elle une demoiselle d’honneur, la baronne de Gœckhausen, qui avait vieilli à son service, personne aimable, un peu contrefaite, mais spirituelle et cultivée. Elle s’éprit pour Mme de Staël d’une de ces passions de femmes solitaires dans la vie, qui épanchent de tous côtés le trop-plein de leur cœur, comme Mme de Staël, au surplus, en inspira si souvent. « La Staël, écrivait Charlotte Schiller, est souvent au Palais, et là c’est la Gœckhausen qui l’adore le plus. » Cette