entre elle et la duchesse Louise portent témoignage de cette amitié[1]. Le duc Charles-Auguste, la duchesse Amélie partageaient ces regrets. « La Cour, dit l’auteur de la biographie de la duchesse Louise que j’ai déjà citée, sentit un vide très grand ; la magie de cet esprit à mille facettes avait donné un lustre inaccoutumé à cette Cour déprimée par la réalité attristante des événemens. Elle était plus aimée, plus appréciée par les princes que par le monde des écrivains. »
On a beaucoup insisté sur la fatigue que l’intarissable conversation de Mme de Staël aurait causée à Gœthe et à Schiller, à Schiller surtout, car le solide et olympien Gœthe était en état de supporter la fatigue et ne s’émouvait pas pour si peu. On s’est complu à répéter, et on retrouve partout, cette boutade de Schiller dans une lettre à Gœthe, qu’après le départ de Mme de Staël il lui semblait relever d’une grande maladie. N’est-il pas plus équitable de chercher son véritable jugement sur Mme de Staël dans cette lettre datée de l’année suivante, où il écrivait à sa sœur Christophine : « Mme de Staël est un phénomène pour son sexe ; peu d’hommes l’égalent en esprit et en éloquence, et, malgré cela, il n’y a chez elle nulle trace de pédantisme ou d’obscurité. Elle a toute la finesse que donne l’usage du grand monde et, avec cela, un sérieux rare et une profondeur d’esprit tels qu’on ne les acquiert que dans la solitude[2]. »
Ce n’est pas non plus dans ses lettres à Schiller qu’il faut chercher le véritable jugement et le dernier mot de Gœthe sur Mme de Staël. C’est bien plutôt dans l’écrit intitulé : Annales ou notes pour servir de complément à mes confessions, dont plusieurs pages sont consacrées au récit de ses relations avec Mme de Staël[3]. Dans ces pages, il lui rend un hommage que lui ont rarement payé ses plus grands admirateurs. « Sa personne, dit-il, avait quelque chose de ravissant au point de vue physique, comme sous le rapport intellectuel, et elle paraissait n’être point fâchée qu’on n’y fût pas insensible. » Puis il continue :
Mme de Staël poursuivait avec résolution son projet d’apprendre à connaître notre société, de la coordonner, et de la subordonner à ses idées ; de s’enquérir des détails autant qu’il se pouvait, de s’éclairer comme femme du monde sur les relations sociales, de pénétrer et d’approfondir, avec sa