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adressait à celui que, dans une autre lettre, elle appelait « le bon et aimable Fénelon de la philosophie. »

Je ne puis me résoudre à vous dire adieu. J’espère cependant vous revoir l’année prochaine, mais la vie est si incertaine dans ce temps que le cœur se serre en embrassant une si rare personne que vous. Le monde n’en produira plus de semblable, et je suis solitaire dans ma génération, tandis que mon cœur a toujours appartenu à la vôtre. Je vous ai trouvé plus jeune que jamais par la pensée et il me semble que vous n’oubliez que le terrestre. Daignez cependant donner une place dans votre souvenir à mon admiration pour vous et pensez à moi et à mon père, sur cette terre et dans le ciel[1].

Soit que Wieland ne maniât pas facilement la plume en français, soit que Mme de Staël n’eût pas cru devoir les conserver, il n’y a point dans les archives de Coppet de réponses à ces aimables billets.

Il n’y a rien non plus de la main de Goethe. Les quelques lettres qui lui ont été adressées par Mme de Staël ont été publiées dans le Goethe Jahrbuch[2]. Ce sont généralement de courts billets où l’expression de son admiration littéraire alterne avec de fréquentes invitations à venir dîner ou souper avec elle et Schiller.

Dès le lendemain de son arrivée à Weimar, elle lui avait écrit pour lui proposer d’aller passer quelques jours à Iéna pour le voir. « Il ne me faut pas moins de temps, lui disait-elle, pour vous exprimer mon admiration et pour recueillir quelques-unes de vos pensées qui germeront dans mon esprit le reste de ma vie. » Gœthe acceptait d’abord et il la remerciait dans un billet un peu lourd dont le brouillon a été conservé :

Voilà, Madame, une des contradictions les plus frappantes. Vous vous trouvez à Weimar, et je ne vole pas vous porter les assurances d’un parfait dévouement. Cependant je ne me plaindrai pas ni des affaires momentanément compliquées ni des indispositions physiques qui me retiennent ici. Ces accidens me sont chers, car ils me procurent un bonheur que je n’aurais jamais osé souhaiter. Vous vous approchez de l’hermite, qui fera son possible pour écarter ce qui pourrait l’empêcher de se vouer

  1. Cette lettre est sans date comme toutes les autres. Mme de Staël devait, en revenant de Berlin d’où elle fut rappelée par la maladie de son père, s’arrêter à Weimar. Ce fut là qu’elle apprit la mort de M. Necker. Il ne serait pas impossible que cette lettre ait été écrite par elle lors de son rapide passage. Le ton mélancolique qui y règne le ferait supposer.
  2. Année 1884, p. 115 et suiv. ; année 1887, p. 5 et suiv.