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de quoi les relier par une dernière natte longitudinale qui forme les bords de ce panier à claire-voie. Comme on a eu la précaution de dépouiller de feuilles la base des tiges sur un mètre au moins, la moutète se termine, à l’une de ses extrémités, par une double canne. Ce prolongement rigide permet au Loango prenant le bout opposé du panier, de le soulever, avec la charge qu’il renferme, de l’amener sans fatigue à, une inclinaison telle qu’il n’a plus qu’à glisser sa tête sous le centre de gravité et à laisser basculer pour se trouver chargé. Le long delà route, lorsqu’il a besoin de se reposer, il s’approche d’un arbre, baisse la tête, le bout des tiges touche terre, et la moutète est déposée, debout contre le tronc ; quand il veut repartir, il n’a plus à faire aucun effort, la charge, dressée à hauteur de sa tête, bascule et se remet à sa place rien qu’en l’écartant de l’arbre. La moutète est l’économie des forces ; sans elle, un Loango ne serait plus qu’une moitié de porteur.

En revoyant en pensée le Loango se faufiler, l’air craintif, à travers les villages, le long des ravins, un peu comme s’il voulait passer inaperçu, il me vient un remords. J’ai dit qu’il était timide devant le danger, mais je n’ai pas ajouté qu’il était excusable. Il l’est d’autant plus qu’une partie des risques, courus pendant son voyage, résultent des tentations qui se sont offertes à lui dès le début de sa route. Ces tentations sont grandes ; il ne sait pas y résister. Si son courage est faible, sa vertu est fragile.

Qui dira jamais l’odyssée du Loango sur cette route de Brazzaville ? Qui rendra ses tribulations ? Qui chantera le dévouement, l’abnégation, la force de caractère, et la sobriété du porteur déposant sa charge à destination ?

A peine est-il parti de Loango qu’il pénètre dans la forêt du Mayombe, la terrible région du Mayombe qui réunit les difficultés de la montagne et celles de la forêt équatoriale ; le voilà qui escalade des pics, qui descend dans le fond des ravins, qui.franchit des torrens, sa longue moutète s’insinue à travers les lianes, se glisse sous les arbres écroulés ; ses pieds s’agrippent aux cailloux, aux racines… enfin il arrive à un village, il va se reposer ! Il se reposera trop bien ! car dans ce village, comme dans tous ceux que le Mayombe lui offrira, tout sera mis en œuvre pour l’arrêter, c’est-à-dire pour lui faire dépenser les cortades d’étoffe, avances sur le paiement final, destinées à assurer sa subsistance jusqu’à Brazzaville. La