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l’on vit au milieu des échantillons les plus variés, où l’on suppute les prix, les qualités, où, l’œil fixé à la loupe du compte-fils, on examine le nombre de fils contenus dans un carré d’un centimètre de côté. On passe du calicot à l’andrinople, on apprend la différence entre la toile et le coton, entre le velours de soie et le velours de laine ; on découvre que les perles, dites de Venise, viennent de Gablonz, en Bohême. De la direction de l’artillerie, pour les cartouches, on se transporte chez le fabricant débâches et d’articles de campement ; du magasin d’emballage des colonies, on va chez le fournisseur des caisses et des tonnelets étanches. Le soir, on se plonge dans les récits des explorateurs français, anglais et allemands ; on vérifie les commandes, les ordres d’expédition, on classe les factures, et pour se reposer on prend une carte, on contemple des espaces plus ou moins blancs que coupent de petites lignes rouges et noires, où on se voit cheminant, et sur lesquelles on rêve.

La mission du capitaine Marchand, dont la durée était évaluée à trois ans, ne comptait pas moins de 3 049 charges, toutes de 30 kilos, poids maximum qui puisse être mis sur la tête d’un homme. Il est évident qu’il est impossible de constituer une armée de 3 049 porteurs et de se faire suivre de cette armée à travers l’Afrique. D’abord, on ne trouverait pas un pareil nombre de porteurs ; ensuite, réussirait-on à les réunir, qu’on n’aurait aucun moyen de les faire vivre. La raison qui limite l’effectif de l’escorte, interdit d’emmener même un nombre restreint de porteurs.

Comment ces 3 000 charges circuleront-elles et arriveront-elles au but ?

On peut d’abord poser en principe que les transports ne sont ni plus faciles, ni plus rapides dans les régions occupées qu’ils ne le sont dans les régions inoccupées. Celles-ci comme celles-là ont simplement à leur disposition la tête des nègres ou les pirogues. Dans le Congo, par exemple, les charges auront à faire un premier bond de Loango à Brazzaville. Pour l’accomplir, si la route est libre, ce qui n’est pas toujours, une caravane partira aujourd’hui, une autre demain, celle-ci de 20 hommes, celle-là de 30 ; certains jours, trois ou quatre partiront à la fois, mais plusieurs jours pourront s’écouler sans qu’aucune ne se présente. Il faudra bien des semaines avant que le3 3000 charges soient rendues au terme du premier bond.