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points et avec certains. .Mais quand je verrai que je ne pourrais me faire entendre, je me tairai très soigneusement. Ce n’est jamais une excuse de dire : je n’ai pas été compris ; il fallait ne pas dire des choses qui puissent être mal comprises. J’aurai mes amis, à qui j’ouvrirai parfois la porte de derrière.

Quand on parlera en ma présence de choses qui ne tombent pas dans mon sens, soit que je pense le contraire, soit que je croie la chose formulée de travers, je me tairai, et me garderai d’entrer en leur sens ou de le contester. Le second ferait hausser les épaules aux sots ; le premier serait mentir, et d’ailleurs me troublerait : car ensuite je serais tenté de me conformer au type que j’aurais pu leur donner lieu d’induire de moi. Nous sommes si singuliers, qu’il suffit que nous énoncions une opinion, souvent sans y croire, pour être ensuite sérieusement portés à y croire.

Jamais la moindre polémique avec mes professeurs, très rarement en conférence, et seulement quand je serai interrogé, et que la matière le comportera.

J’éviterai de soutenir : 1° ce que je ne croirai pas. Car ce serait une raison pour y croire, ce qui me fausserait ; d’ailleurs, c’est se jouer avec la vérité ; 2° ce dont je ne serais pas sûr. Car les autres pourraient avoir raison, me pousser à bout, et je me sens assez faible pour n’avoir pas la force de céder : or, c’est un triste rôle de soutenir des absurdités pour ne pas s’avouer vaincu.

J’éviterai toute manière sèche d’envisager les choses, voyant tout dans le point de vue de la morale et de la vérité. Ceci ne veut pas dire que je rejetterai la forme scientifique. Au contraire, j’y moulerai mon esprit.

Ma piété sera aussi dans ce genre ; je tâcherai de pénétrer l’esprit et le cœur des choses et des mystères chrétiens. Je n’aime pas ceux qui font de la piété une chose à part, et comme l’antithèse du profane. Je n’aime pas non plus ces questions sur la prépondérance de l’étude et de la piété, etc. Cela n’a pas de sens. Si la piété était quelque chose de distinct de tout le reste, comme une spécialité à part, il est clair qu’il faudrait absolument ne faire que cela, ce qui mènerait à des conséquences subversives. Mais la piété n’est pas cela : elle est un esprit qui pénètre, domine la vie, plutôt qu’une partie plus ou moins importante de cette vie.