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son livre, étudiait principalement la « conversion » d’Horace. Il a observé que le poète des épîtres, — le poète du premier livre des épîtres, — sur sa quarantième année, passa d’un joyeux épicurisme à des idées plus nobles et, sinon au stoïcisme intégral, à une doctrine assez stoïque du devoir. Comment procède M. Courbaud ? Il prend une à une les épîtres d’Horace, — les épîtres du premier livre, — il analyse chacune d’elles : et, de chacune d’elles, obstinément, il cherche les intentions. Il analyse : il a raison. Mais, toute une partie de l’analyse était son affaire, non la nôtre. Il nous fait assister à tout son travail : il laisse les échafaudages et veut que nous y grimpions avec lui. C’est exactement la méthode des érudits ; le travail de la construction les intéresse plus que l’édifice lui-même.

Quel analyste !… Et la synthèse ?… Car la science a l’analyse pour moyen et la synthèse pour objet. Seulement, la vive synthèse effraye le savant craintif ; et il s’attarde volontiers dans la sécurité de l’analyse. D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait le défaut de notre auteur. Précisément, voici la singularité de sa manière. À le voir cheminer de vers en vers, quêtant son information, trouvant ceci, trouvant cela, on le dirait bien libre et en état de scepticisme ou d’attente. Non : il analyse et il tient sa synthèse. Il interprète les épîtres d’Horace, au gré du texte et au gré de ses conclusions. Sa bonne foi n’est pas douteuse : ses conclusions, le texte les lui fournit. Cependant, nées du texte, les conclusions s’imposent quelquefois au texte. À peine s’en apercevrait-on, si le stratagème n’était évidemment révélé par le contraste d’un rigoureux appareil scientifique.

Soit l’épître cinquième, à Torquatus. Horace invite son ami Torquatus à dîner. C’est au mois de septembre ; les nuits sont tièdes : l’on boira, l’on jettera des fleurs et l’on sera même un peu fou. Il faut profiter de la vie, cueillir les jours, aimer les vins délicieux ; et il faut s’amuser. Eh ! mais, cet Horace qui se convertit, cet Horace qui, dans son épître à Mécène, antérieure à l’épître à Torquatus, indiquait les préludes certains de sa conversion, cet Horace est un épicurien fieffé ?… Semblablement, l’épître quatrième, à Tibulle, ne paraît pas très édifiante : « Si tu veux rire, viens me voir ; je suis gras, luisant, la peau soignée, un porc du troupeau d’Épicure. » Eh ! mais, la conversion ? Voilà, tout uniment, le plus « bas sensualisme ?… » Peut-être. Mais M. Courbaud s’est promis de suivre, d’épître en épître, les étapes d’une conversion. Il interprétera l’épître quatrième et la cinquième selon ce projet. Oui, Horace engage Torquatus à des liesses : c’est que Torquatus est trop économe et austère ; l’on fait œuvre pie