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de la méthode, ici-bas, on perd toute incertitude, conséquemment toute sagesse, et la douceur. Les philologues ont la fatuité de leur science. Or, à la suite d’incidens divers, les sciences deviennent, depuis quelque temps, moins rudes et arrogantes ; les mathématiques elles-mêmes, sur le conseil d’Henri Poincaré, s’amollissent. La philologie est de plus en plus revêche. Cependant, elle ne hasarde que des conjectures : mais elle a le ton de la prophétie. Ses conjectures, habituellement, ne seraient pas indiscutables : très souvent, elles ne valent rien. Peut-être n’a-t-on pas oublié cette aventure, qui date d’un quart de siècle à peine. Des égyptologues trouvèrent, sur un papyrus, le manuscrit d’un long passage du Phédon : manuscrit fort ancien, et à peu près contemporain de Platon et qui offrait les garanties les meilleures. Eh bien ! il arriva que ce manuscrit déçut l’espoir des philologues : il prouva que toutes leurs conjectures, — sauf une ou deux, parmi des dizaines, — étaient fausses, inutiles les unes, absurdes les autres. Le labeur des philologues n’avait pas restauré le texte de Platon : il l’avait détérioré. Les philologues se découragèrent-ils ? Pas du tout ! Ils redoublèrent de hardiesse. M. Courbaud n’a pas tort de les craindre ; il n’a pas tort de les traiter avec un peu d’ironie.

Un Müller, parmi eux, n’est aucunement timide. Un passage le gêne-t-il ? Voilà, dit-il, « un pathos, indigne d’Horace : » il le supprime. Seulement, ce passage, M. Courbaud le déclare excellent, « d’une rare élévation morale. » Müller n’en a-t-il pas senti la noblesse ? Oui ; mais Horace, au vers précédent, badinait ; et Muller ne veut pas qu’Horace, une seconde après avoir badiné, soit soudain grave. M. Courbaud réclame, pour le poète, plus de liberté. Ensuite Muller se récrie : Horace n’est-il pas, à l’égard de Mécène, trop familier ? Ces vers choquans, il les refuse. M. Courbaud les admet. Ailleurs, dans l’épître à Lollius, Horace nous engage à écarter les plaisirs qu’on achète au prix de la douleur. Müller se rebiffe : achètera-t-il ses plaisirs au prix de la douleur ? Je ne sais. Mais il considère que cet avis d’Horace « brise l’enchaînement des idées : » et il supprime le vers qui l’importune. Bref, Müller supprime, avec quel entrain ! M. Courbaud, lui, conserve. Une fois, Müller ajouterait volontiers quelques vers. C’est dans l’épître à Iccius. Vers la fin du poème, il ne voit plus l’enchaînement des idées. Supprimer la fin du poème, c’est bien tentant. Il aime autant conjecturer que le copiste a sauté une phrase. Non ! et c’est trop commode, répond M. Courbaud, circonspect. Et, à peine Müller se lance-t-il dans l’hypothèse d’une lacune ou d’une interpolation, M. Courbaud le retient. Don Quichotte n’éprouva pas, de la part