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de la paix de Bucarest. Celle-ci, conclue en dix jours, a eu un sort plus heureux que le traité péniblement échafaudé à Londres en 1912, qui, malgré la collaboration des grandes Puissances, n’avait pas empêché la guerre de renaître.

La Roumanie peut contempler son œuvre avec satisfaction. Elle a été modérée dans ses revendications : le territoire qu’elle s’est annexé contient plus de Turcs que de Bulgares : elle s’est bien gardée de vouloir imposer sa domination à des populations qui lui seraient restées hostiles. Elle a démontré la puissance de son organisation militaire et affirmé sa volonté de maintenir l’équilibre entre les divers royaumes qui se partagent le Sud-Est de l’Europe. Elle va continuer à développer son agriculture et son industrie et mérite d’obtenir, pour cette œuvre pacifique, le concours de ses amis occidentaux. Des sceptiques nous diront que les dispositions du peuple roumain, hostiles ou amicales à l’égard de certaines grandes puissances, ne survivront pas aux circonstances qui les ont provoquées : ils font déjà grand état d’une visite que le prince héritier a rendue à l’archiduc Ferdinand, futur empereur d’Autriche. Ils oublient qu’il ne s’agit pas seulement entre les deux pays de combinaisons diplomatiques ou militaires, qui peuvent n’avoir qu’un caractère passager. Ils négligent une question, qui touche les fibres intimes de la nation : c’est celle de la Transylvanie et de la Bukowine, des 4 millions de Roumains qui peuplent ces provinces et qui, sous la domination austro-hongroise, ont conservé leur langue, leur caractère, leurs idées. C’est là un problème d’une gravité indéniable, que les événemens de 1913 ont remis à l’ordre du jour. Nous ne prétendons pas qu’il soit de nature à susciter un conflit immédiat : mais il est une source de méfiance, d’hostilité sourde, entre Bucarest d’un côté, Vienne et Budapest de l’autre. Le jour où des complications européennes naîtraient, cette question ne manquerait pas de se poser. Les anciens légionnaires de Trajan ont implanté dans les Carpathes une race vigoureuse qui a résisté et persisté, et qui semble destinée à une expansion remarquable sur les deux rives du Danube, entre les Slaves du Nord et ceux de la péninsule balkanique. Ceux-ci d’ailleurs sont moins nombreux qu’eux, car il paraît bien établi que les Bulgares, au point de vue ethnique, ne se rattachent pas à la même origine que la majorité des Russes.