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II

De tous temps, la question agraire a joué un rôle considérable dans l’histoire de l’humanité : on peut dire qu’elle en forme comme la trame : les luttes entre peuples et, au sein d’une même communauté, entre individus, ont eu surtout pour objet la possession du sol. Dès la plus haute antiquité, aussitôt que des rudimens de société s’organisèrent et que chacun voulut assurer à lui et aux siens les alimens et certaines matières premières indispensables à la vie, les hommes cherchèrent à devenir ou à rester maîtres de la plus grande étendue possible de terres. Sans remonter plus haut que l’histoire romaine, on sait quelle place ces querelles tinrent dans la politique de la République : les séditions des Gracques sont présentes à notre mémoire. Toute l’histoire du Moyen âge est remplie des combats sanglans entre les divers Etats et monarques, qui veulent s’arracher les uns aux autres des territoires. Dans les temps modernes, ces luttes internationales continuent et se doublent de bouleversemens intérieurs qui, à de certaines époques, viennent modifier profondément le régime de la propriété foncière. Tantôt ils sont la suite de révolutions politiques violentes, comme en France à la fin du XVIIIe siècle ; tantôt, comme en Espagne et en Italie, ils se produisent sans qu’il y ait de sang répandu, par une législation qui sécularise les biens du clergé, brise la mainmorte et morcelle, en les vendant aux particuliers, les vastes domaines des congrégations. En Russie, dès 1861, un tsar libéral supprime le servage qui attachait le paysan à la glèbe et rend celui-ci propriétaire en forçant les seigneurs à se défaire d’une partie de leurs domaines que l’Etat achète et cède aux ex-serfs moyennant le versement d’un certain nombre d’annuités. A la suite des troubles violens qui ont suivi la guerre japonaise et des soulèvemens de paysans qui, dans certaines provinces, ont pris une allure révolutionnaire, le gouvernement russe s’est préoccupé d’améliorer les conditions de la propriété rurale : une loi nouvelle a été soumise à la troisième Douma, à la fin de 1909. La propriété commune, le mir, est en voie de se transformer en domaines individuels. Les rapports annuels du ministre des Finances au Tsar donnent des renseignemens précieux sur les heureux effets de cette réforme.