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chétif tard venu ? Comment glorifier à peu près dignement la lumière, l’éther, la mer et les parfums qu’exhale ce bois d’orangers ? Le dernier parmi ceux qui se vantent encore d’une Muse, un danseur, pourrait ici surpasser les poètes. Ne peut-il exprimer l’effort vers le ciel par des signes, par des gestes, par toute sa personne ? Un peintre aussi l’emporte ici sur le poète. Le plus insignifiant, le plus humble, pourvu qu’il ait appris à mettre sur une feuille de papier la ligne de la montagne lointaine et le couvent à l’extrême lisière, le bois à l’arrière-plan, le rivage marin, au premier plan, l’arbre récemment brisé par le vent… Ah ! quel ne doit pas être son bonheur !… Je pourrais le tuer de jalousie. »

Il n’y a qu’un vrai poète, conscient de l’abîme qui séparera toujours l’idéal dont il rêve et la réalité où il aboutit pour dénoncer avec un tel feu l’infériorité de la poésie sur les arts plastiques. Les mots ne sont point, d’ailleurs, aux mains de Paul Heyse, les « pauvres hères » contre lesquels il s’emporte dans la suite du morceau dont nous venons de transcrire un fragment. Il en compose à merveille les paysages pleins de douceur, des paysages, naturellement, d’un goût tout classique. Jamais Paul Heyse ne s’exerce à la virtuosité dans le pittoresque. Jamais non plus il ne mêle aux descriptions tumultueuses d’une nature désordonnée ces effusions mystiques chères au romantisme. La nature, dans ses nouvelles, n’est qu’un cadre. Ses descriptions sont brèves, rapides, serrées. Elles achèvent d’expliquer les personnages sans les écraser, sans les étouffer. On trouve chez Paul Heyse de jolis tableaux de sous-bois allemands, mais surtout des croquis italiens pleins de soleil et de joie de vivre.

Pas de rocs sourcilleux, pas de sublimes horreurs, mais des paysages lumineux, aux grandes lignes simples et harmonieuses : « Le grand homme pâle, écrit Heyse dans la Fille de Treppi (1855), s’avançait sur un cheval de toute confiance que sa fiancée tenait par la bride. Des deux côtés défilaient dans la clarté de l’automne les cimes et les vallées du magnifique Apennin. Au-dessus des gorges planaient les aigles. Et, calme et clair comme la mer lointaine, brillait l’avenir devant les voyageurs. » Une telle concision paraît un peu nue, un peu sèche. Mais l’essentiel ne tient-il pas dans les lignes qu’on vient de lire ? Et toute cette profusion de détails dont certains auteurs