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Titien. Gina, belle, instruite et froide, Gina, avec son âme du Nord, est dessinée avec infiniment moins de sympathie que Traud.

Traud, belle aussi, est fort ignorante ; mais si elle n’a pas la science de Gina, ni sa gravité pédantesque, elle l’emporte sur cette rivale par la spontanéité, la fraîcheur, la naïveté de ses sentimens. Née sur les bords du Rhin, fille de l’Allemagne du Sud, elle a déjà ces traits, dont Paul Heyse orne les Méditerranéennes chères à son cœur. La supériorité de Traud sur Gina, c’est la supériorité du monde classique sur le monde romantique, de la civilisation antique sur la civilisation moderne, de la Renaissance sur les siècles gothiques.


VI

Le classicisme de Paul Heyse et son anti-romantisme commandent sa vision de la nature comme ils déterminaient son idéal féminin. On a soutenu que les classiques ne comprenaient, n’aimaient pas la nature. Sous une forme si tranchante, cette assertion est inexacte. D’autre part, il est certain que l’homme intéressait les classiques beaucoup plus que le monde extérieur où il se meut. Paul Heyse leur ressemblait sous ce rapport comme sous les autres. Il ne se gênait pas pour déclarer : « L’homme est l’alpha et l’oméga. » Et certains principes énoncés par le peintre Rossel (Au Paradis, 1876) reflètent sûrement son avis personnel : « La nature, de quelque sublimité, de quelque aménité, de quelque poésie que la revêtent les bavards, n’est que la coulisse d’un théâtre. Et la Scène du Monde commence seulement à valoir le prix qu’on paye pour y entrer lorsque des figures humaines s’y font voir. »

Au reste, comment rendre par des mots la splendeur des sites méridionaux où Paul Heyse aimait à placer ses idylles. Ce doit être encore une confession personnelle que cette plainte d’un « peintre allemand » en promenade à Sorrente : « Qu’il est vain, s’écrie-t-il, de glorifier dans la poésie l’art suprême ! La poésie peut-elle soulager le cœur du poids dont l’accable cette impression que j’ai sous les yeux ? Nommez-moi les plus grands qui jamais régnèrent sur le verbe. Devant l’Incommensurable, ne sont-ils pas frappés de mutisme tout comme moi,