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Les famines sévissent ; et telles que la populace mange des cadavres emportés au fond des tentes en nattes.

Pendant tout le XVIIe siècle, les tragédies sont quotidiennes. Exécutions capitales, empoisonnemens, rixes, meurtres, crimes de palais, révolutions, émeutes de prétoriens frénétiques, épouvantent les jours. On construit plus de maisons bardées et crénelées. Les disettes se succèdent. On vit une mère dévorer son enfant.

En 1660, les pachas s’affranchissent de la suzeraineté marocaine, toute nominale d’ailleurs. Des prières publiques ils suppriment le nom du sultan. Puis les Armas des Songaïs gouvernent, métis de berbères et de négresses, très noirs eux-mêmes. Cent vingt-huit pachas se succèdent en quatre-vingt-dix ans. Et si la grande mosquée, sa pyramide, sont reconstruites, en 1709, par l’un d’eux, les autres dépouillent les individus et les corporations, afin d’acheter la retraite des Touareg, reparus avec leurs dromadaires devant la ville, qui, pourtant, n’évite pas d’être mise à sac.

Pendant le XVIIIe siècle, Berbères Touareg, Arabes Kounta, Peuhls du Macina, tour à tour, rançonnent les caravanes et dépeuplent la cité blonde ; esclavagistes impitoyables les uns comme les autres.

La nécessité, pour le Soudan, d’obtenir le sel en échange de son or, de ses plumes, de ses grains, maintient, parmi ces horreurs, l’existence active de Tombouctou. Les marchands acceptent de payer impôts et rançons, tant ils gagnent encore par leur négoce. Sous les terrasses desséchées qui se fendillent, les pauvres échappent à l’emprise des cupidités. Leur ruche de paille et de banco, leurs calebasses et leurs corbeilles, leurs lits de bâtons entrelacés, ne sont pas pour attirer sur eux, d’ordinaire, les violences des assauts. Dès le moment du péril, ils fuient ou se terrent ; puis regardent partir, sous la fourche des captifs, la fillette, la jeune épouse, en cachant leur rage douloureuse. Le lendemain, ils recommencent leurs humbles besognes, porteurs d’eau, chameliers convoyeurs âniers au service des vaincus comme au service des vainqueurs. Ne faut-il pas décharger, charger les planches de sel, les couffes de riz et de mil, emmagasiner, transporter les marchandises, désaltérer la caravane, lui panser les bêtes, lui tresser des nattes de campement, lui saigner des moutons, lui remettre des