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portes de Haguenau, de Bitche, de Landau, la caserne d’infanterie, les manutentions, la buanderie, l’aubette du portier-consigne achevèrent de lui donner son visage militaire.

La Révolution éclate. Une municipalité remplace l’ancien magistrat ; le Staffelgericht est supprimé. Un directoire de quatre membres et un conseil de douze administrent le district avec un zèle tout révolutionnaire. Un jacobin, un pasteur, fils de fripier, mène la fête. Les prêtres ayant refusé le serment, les offices sont interdits dans la collégiale, les couvens fermés, les ecclésiastiques qui n’émigrent pas déportés, les habitations des chanoines séquestrées, la maison du doyen occupée par le district. La rage détruit tous les signes de l’ancien régime et de la religion. On saccage l’église, on fond ses cloches, on enlève les grilles dorées qui séparaient les transepts des nefs, on brise l’immense lustre en forme de couronne ; une femme met en pièces avec un sabre toute la broderie de pierre qui serpentait à l’intérieur sur les murs. Il semble que la profanation va s’arrêter. Bien au contraire. Un beau jour, les Jacobins, en bonnet rouge, conduisent à travers la ville tous les ânes de la contrée, couverts de nappes d’autels et d’ornemens sacrés, rabat au cou, et chapelets aux oreilles. Une troupe de jeunes filles, vêtues de blanc, la chevelure flottante, les accompagnent avec de jeunes hommes, en soutane et surplis, qui chantent des airs d’église mêlés de blasphèmes et d’obscénités. Place du Marché, ils entassent pêle-mêle crucifix, chasubles, livres de prières et de liturgie et y allument le feu. On raconte qu’un jacobin présentait à son âne un ciboire avec des hosties consacrées, en disant : « Allons, animal, mange ce Dieu. »

Mais pendant que ces horreurs se passaient, le sort de la France continuait à se jouer sur les lignes de Wissembourg. Le feld-maréchal Wurmser les envahissait, s’emparait de la ville, où les émigrés rentraient, aux cris de : « Vive le Roi ! » acclamant les princes de Condé, de Bourbon et d’Enghien debout sur le balcon de la maison commune. Wurmser aussitôt rétablissait l’ancien régime. Mais Hoche arrive : il a laissé plusieurs divisions de son armée sur la Sarre, et débouche par la vallée de Niederbronn ; il bat Wurmser à Frœschwiller, le rejette sur Wissembourg où les Autrichiens ont le bonheur de rallier les Prussiens. L’armée ennemie est fortement retranchée sur le Geisberg… Hoche a fait sa jonction avec l’armée du Rhin, que