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Stanislas, staroste d’Odolanow et palatin de Posnanie, puis éphémère roi de Pologne, puis prince de Deux-Ponts, puis retiré à Bergzabern, près de Landau, était arrivé à Wissembourg, pour s’y assurer, avec l’autorisation du roi de France, un asile contre les violences et les embûches de l’électeur de Saxe. Il avait choisi pour résidence, non loin de l’enceinte, la maison Veber. Bien qu’elle ait subi maintes vicissitudes, d’abord possession de monastère, ensuite temple de franc-maçonnerie et collège, enfin hôpital, elle n’a été qu’agrandie. C’est une assez vaste construction à deux ailes, avec une haute toiture de tuiles sombres, un beau porche, un large escalier à balustrade en bois, une de ces demeures cossues que les bourgeois riches aimaient à construire. De vieilles gens, maintenant, y achèvent leurs jours. Stanislas n’y menait pas un train royal. Il y habitait avec sa femme, Catherine Opalinska, sa vieille mère, Anne Jablonowska, sa fille, le comte Tarlo, chargé des ambassades, le baron de Meszeck, maréchal du palais, Biber, son secrétaire intime, deux ecclésiastiques, quelques officiers et trois dames d’honneur, dont la comtesse de Linange. Tandis que sa femme se lamentait contre le sort, il passait le temps à se promener sur les bords de la rivière, regardant jouer les enfans, rêvassant, fumant sa pipe ; parfois il s’en allait à la chasse ; rien, dans cette existence, qui soit d’un souverain ; tout y est d’un rentier satisfait. Le jardin, qui n’a pas changé, aide, mieux encore que la maison, à évoquer la vie résignée qui s’écoulait entre ces murs. C’est un modeste jardin fruitier et potager, avec des carrés exactement délimités, un bassin, un jet d’eau, d’étroites allées, et qui n’a point de vue sur la campagne. On s’y croit au bout du monde. À une extrémité, au milieu d’un bosquet dont le lierre entoure les arbres, une table de pierre se penche au-dessus d’un tumulus. Là, dit-on, Marie se plaisait à venir. L’endroit est touchant : on y est complètement isolé et comme caché, on n’entend que le chant des oiseaux et le son des cloches. Tout forme encore le décor qui convient à cette douce figure. Marie, sans être belle, avait la taille bien proportionnée, le port gracieux, l’œil vif et fin, un air souriant. Elle était aussi un assemblage de vertus. Réveillée dès les six à sept heures du matin, dans cette chambre où couchent aujourd’hui les religieuses de l’hôpital, et qui communiquait avec son oratoire du rez-de-chaussée par un escalier particulier, elle lisait dans son