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Mais la force poétique est impérieuse, et chaque année de vie l’accroît. Le monde se propose irrésistiblement.


« Comme un animal dans le milieu de la terre, comme un cheval lâché qui pousse vers le soleil un cri d’homme,

Quand, ouvrant les yeux pour la première fois, je vis le monde dans la fraîcheur de sa feuille,

Paraître dans une proportion sublime, avec l’ordre de ses lois et la composition de son branle, et dans la profondeur de sa fondation,

Comme un homme qui adore et comme une femme qui admire, je tendis les mains,

Et comme un miroir d’or pur qui renvoie l’image du feu tout entier qui le frappe,

Je brûlai d’un désir égal à ma vision, et, tirant sur le principe et la cause, je voulus voir et avoir[1]. »

C’est la possession après la contemplation. Un jour M. Claudel dira au Seigneur : « Utilisez-moi ! Exprimez-moi dans votre main paternelle ! Faites sortir tout le soleil qu’il y a en moi ! »


Cette possession poétique anime toute l’œuvre. Les drames en sont l’examen, les odes et les poèmes en sont le chant. Comblé d’une félicité qu’il s’est bâtie, le poète pensera avoir fait pour lui-même une révision de l’univers.


« Le monde s’ouvre, et si large qu’en soit l’empan, mon regard le traverse d’un bout à l’autre.

J’ai recensé l’armée des cieux, et j’en ai dressé état,

Depuis les grandes figures qui se penchent sur le vieillard Océan,

Jusqu’au feu le plus rare englouti dans le plus profond abîme.

Vous êtes pris, et d’un bout du monde jusqu’à l’autre autour de vous,

J’ai tendu l’immense rets de ma connaissance[2]. »

Mais, parce que « chaque homme, pour vivre toute son âme, appelle de multiples accords, » le monde intérieur aussi s’offre à la connaissance et à la possession poétique, et, en premier lieu, l’amour.

  1. La Ville.
  2. La Ville.