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mangue… ; » tendues enfin et pleines d’un songe profond quand elles deviennent des méditations comme la Source, le Fleuve, le Départ, révèlent dans leur variété un esprit que le spectacle des choses tient fortement, puis qui se dégage d’elles pour chercher leur sens. Et là, dans le domaine de l’idée, M. Claudel ne reste pas un calme philosophe : ému par la belle terre, sensible comme un vrai poète, il ne s’évade jamais complètement : il établit, mais il éprouve ; il affirme, et il est inquiet.

À ces premiers livres, M. Claudel ajouta en 1905 Partage de Midi qui est un drame d’amour, L’Otage en 1911, un livre de métaphysique, un livres d’Odes, enfin en 1912 cette Annonce faite à Marie dont le succès récent provoqua l’attention et l’intérêt qui se portent aujourd’hui sur l’œuvre de M. Claudel.

Voilà donc l’ensemble d’ouvrages sur lesquels est appelé à s’exercer le goût français : huit drames, un livre de croquis, un livre de philosophie, un livre d’Odes et des poèmes encore disséminés. Or, cet intérêt et cette attention que le nom de son auteur provoque maintenant, l’œuvre souvent tout d’abord les déçoit. Ceux qui la connaissent et l’aiment le mieux, ceux qui le plus étroitement en possèdent le sens, savent bien quel labeur ils ont eu pour la vraiment connaitre. La paresse humaine lutte contre ce tyrannique instinct de beauté qui nous contraint à la chercher à n’importe quel prix quand nous l’avons pressentie, que ce soit à travers les fatigues d’un voyage difficile ou celles d’une lecture déconcertante. Comme il serait plus tentant de nier cette beauté ou de la négliger ! L’Arbre entre les mains d’un honnête homme, c’est un plaisant spectacle. La marche du drame, le sens où va le dialogue, le style, les images, le nom même des personnes, tout le surprend. La typographie, étrange, l’émeut. Il ne comprend pas. Il ressent de l’indignation, comme un homme provoqué. L’honnête homme, généralement, ferme l’Arbre, et, pour seconder son irritation, fait appel à toute sorte d’autorités littéraires : il invoque Racine qui écrivait autrement, et tout de même écrivait bien, et puis il va chercher dans sa bibliothèque un livre de M. Anatole France…

Mais il reste de la lecture la plus superficielle de M. Claudel une curiosité, car il est bien rare que, dans les quelques pages parcourues, on n’ait pas ressenti une certaine impression de force qui est assez rare pour qu’on y prenne garde ; ou qu’on n’ait pas aperçu au hasard quelque belle métaphore, quelque trouvaille