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début. Bon ou mauvais, il témoigne d’un tempérament sûr et prêt, d’une nature d’écrivain dont l’instinct de vie est si fort qu’il a, une fois pour toutes, choisi, comme sous l’empire d’une nécessité qui ne peut pas tromper. L’inspiration, les moyens dramatiques, le sens si spécial de la vie, le style enfin, avec ses images, ses rythmes, sa syntaxe particulière, son allure, sont ici, une fois pour jamais, établis.

Le livre qui suit celui-ci est un drame encore, La Ville, daté de 1892 et imprimé sans nom d’auteur.

Les deux livres ne passèrent pas complètement inaperçus. Quelques critiques, ici et là, les remarquèrent, et il se fit une minuscule curiosité autour de ce nom nouveau. Mais le livre qui attira l’attention sur lui fut L’Arbre, publié huit ans plus tard, en 1901, au Mercure de France. L’Arbre contenait cinq drames[1]. Deux versions nouvelles de Tête d’Or et de La Ville (comme un ouvrier consciencieux qui, ayant taillé jadis son œuvre de son mieux, et la retrouvant longtemps après avec un esprit mûri et des mains plus expertes, s’aperçoit de tout le parti qu’on en pouvait tirer et la crée à nouveau, pareille et différente, plus simple, plus sûre, plus pure). Puis trois drames nouveaux, Le Repos du Septième Jour, L’Échange, La Jeune fille Violaine. Ce fut longtemps au sujet de ce livre des cinq drames que s’exerça toute critique sur M. Claudel, et que ses amis, chaque année plus nombreux, fondèrent leur admiration. C’est sur lui, d’autre part, qu’on s’appuie pour déclarer que M. Claudel est un écrivain incompréhensible. Cependant un autre livre, charmant et facile, paraissait presque en même temps, un livre de prose, Connaissance de l’Est, croquis ou, comme on a dit, « estampes » d’Extrême-Orient. Ce sont de belles notes, de ces notes toutes chaudes d’un zèle neuf, parfaites comme des poèmes, qu’un écrivain-né, mis en contact avec une terre nouvelle et surprenante, écrit irrésistiblement.

Ces notes, toutes pleines des couleurs et des odeurs orientales, précises quand ce sont des dessins de villes chinoises, de temples ou d’échoppes ; musicales quand elles expriment la torpeur lascive et luxuriante des escales indiennes : « Je me souviendrai de toi, Ceylan, de tes feuillages et de tes fruits, et des gens aux yeux doux qui s’en vont nus par tes chemins couleur de

  1. Ce sont ces cinq drames qui ont été réédités dans les quatre volumes du Théâtre indiqués plus haut.