Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
M. PAUL CLAUDEL[1]

La situation littéraire de M. Paul Claudel vis-à-vis du public français est un peu en ce moment celle d’un étranger. Quand un artiste d’un pays voisin commence à pénétrer en France, comme on l’a vu pour Ibsen ou Tolstoï, pour M. Rudyard Kipling ou M. Gabriele d’Annunzio, pour Wagner ou pour Moussorgski, il est, d’abord et pour un temps quelquefois long, admiré de quelques-uns, presque en secret : ceux qui, familiers avec son pays, l’ont découvert, et leurs amis. Puis, un jour, un annonciateur livre son nom au public. Le public n’est pas curieux, il retient le nom et s’en contente. Enfin, un traducteur, ou, s’il s’agit d’un musicien, un directeur de théâtre, montre l’œuvre elle-même et laisse parler cette voix. C’est le témoignage, c’est l’épreuve. Elle détermine dans le destin de l’inconnu un tournant. Ou bien le nouveau venu n’obtiendra rien de nous, rien qu’une curiosité momentanée, ou bien au contraire, aussi soudainement que la chute d’eau d’une rivière calme se précipite après le barrage de rocher, il semblera que son nom multiplié sonne partout, — et ce sera l’engouement, peut-être le goût durable, peut-être la gloire.

Entre la dilection du petit nombre et l’amitié du grand nombre, à cette heure de suspens se trouve actuellement M. Paul Claudel. Alors que nous suivons pas à pas la plupart de nos écrivains et que leur réputation va par degrés, il présente presque brusquement un long passé littéraire et dix œuvres. Son

  1. Théâtre, 4 vol. au Mercure de France ; L’Otage, L’Annonce faite à Marie, Cinq grandes Odes, à la Librairie de la Nouvelle Revue française ; Connaissance de l’Est, au Mercure ; Partage de Midi, à L’Occident.