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II

Menu, frétillant, virevoltant, habillé d’une veste de papier à fleurs, chaussé de souliers en écorce d’arbre, coiffé d’un chapeau en mie de pain, l’illustre Pinocchio est une marionnette. Il y avait une fois un morceau de bois, dont un menuisier voulait faire un pied de table. Mais au moment où il le taillait, il entendit une voix grêle qui lui disait : « Arrête ! tu me fais mal ! » Comme il le rabotait, la même voix se reprit à parler : « Arrête ! tu me chatouilles ! » Alors le menuisier eut peur de ce bois si bavard ; et il le céda sans regret à son compère Geppetto, qui avait précisément l’intention de fabriquer une marionnette. Geppetto emporte le cadeau dans son pauvre logis, et se met en devoir de confectionner un chef-d’œuvre. « Je l’appellerai, dit-il, Pinocchio. Ce nom lui portera fortune. J’ai connu une famille entière de Pinocchi, Pinocchio le père, Pinocchia la mère, Pinocchi les enfans ; tous vivaient fort à l’aise ; le plus riche d’entre eux demandait l’aumône. » — Il sculpte donc une tête, des cheveux, un front, des yeux. A peine eut-il terminé le nez, que le nez s’allongea démesurément ; il eut beau le retailler : le nez resta toujours trop long, et pointu. A peine eut-il fini la bouche, qu’elle se mit à rire ; les mains, qu’elles lui volèrent sa perruque ; les pieds, que Pinocchio gagna la porte et se sauva : manifestant ainsi son désir de connaître le vaste monde, et son impatience de lier amitié avec les petits Italiens.

Ceux-ci s’éprirent de lui, en effet, parce qu’il leur fournissait deux choses à la fois : les fictions qu’ils aiment ; et la réalité qu’ils commencent a soupçonner. — Comme le monde, tel que les hommes mûrs se le représentent, est ennuyeux ! Partout des obstacles au rêve : tantôt le vrai, tantôt le vraisemblable. Partout des catégories ; au premier rang, l’homme lui-même, qui s’est sacré roi, au nom de la raison ; puis les êtres animés, qui participent à tout le moins de la sensibilité ; puis les plantes, puis les choses, qu’ils appellent matière. Les enfans n’ont encore ni décoloré, ni étriqué l’univers. Ils lui attribuent la surabondance de vie qui est en eux ; tout s’agite devant leurs jeunes regards, tout parle à leurs oreilles attentives ; rien ne vient limiter l’essor de leur fantaisie. A travers l’inattendu et l’extraordinaire, joyeusement Pinocchio les conduit. Il les mène