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optimisme prématuré que de croire ces abus dès à présent abolis.

Seul un contrôle rigoureux y mettra fin. Certains craignent, en le rendant trop visible, de heurter la conscience musulmane. Du seul fait de la conquête des Infidèles, celle-ci « en a vu bien d’autres. » Ce n’est pas en traitant le Makhzen comme un bibelot précieux au goût de certains islamisans, que nous guérirons les blessures de la conscience musulmane, et que nous rallierons le peuple conquis ; ce n’est pas non plus en laissant la bride sur le cou à une autorité indigène, quelle qu’elle soit, — toutes nous compromettaient par leurs rapines, — c’est par la création d’intérêts nouveaux, capables de distraire nos protégés de leurs idées traditionnelles et de les faire sortir de leurs vieux cadres.


Notre présence seule suffit sans doute à commencer de créer de tels intérêts, chers à un peuple très sensible aux avantages matériels. Sous mille formes elle lui répète l’invite : « Enrichissez-vous. » La paix française assure le milieu nécessaire à un si heureux changement. Le bienfait qu’elle apporte par elle-même à des gens obligés naguère de défendre sans trêve leurs moissons et de ne jamais dormir que d’un œil pour garder leur bétail contre les voleurs qui foisonnaient dans l’anarchie marocaine, se résume dans ce mot d’un notable de la Chaouia à un de nos officiers : « Depuis votre arrivée, nous sommes saouls du sommeil ! » De plus, nous apportons beaucoup d’argent à ce pays. C’est le bon côté de la charge très lourde, — on a pu en voir plus haut le montant année par année, — que son occupation fait peser sur le contribuable français. On estime qu’une soixantaine de millions sont dépensés chaque année par l’armée au Maroc même. Avec les achats et frais d’installation des particuliers, ce serait un total de 3 à 400 millions tombés depuis quatre ans dans ce pays naguère sans activité économique[1]. Pour apprécier cette manne, il faut la comparer au commerce du Maroc pendant ces dernières années. Voici les chiffres pour 1909, 1910, 1911 et 1912 : 130, 125, 177, 227 millions. Les importations fournissent la plus grosse part de ce mouvement : leur

  1. Évaluation donnée par M. J. Chailley parlant à l’Union coloniale le 21 janvier 1914.