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de la « jeune Egypte » ou de la « jeune Tunisie. : » C’est dire quelle erreur ce serait d’étendre aux tribus berbères l’administration d’un Makhzen d’institution arabe, de culture arabe, et dont l’influence a toujours été une force aggravant l’arabisation du pays. Les tribus berbères doivent être administrées à part, confiées à des hommes qui leur parleront exclusivement leur langue, s’attacheront à reconnaître, à consolider leurs coutumes, à leur donner le sentiment de leur individualité qui existe déjà d’une manière confuse. Les historiens du Maroc relèvent quelques manifestations de solidarité berbère. « Arbi Roumi ! » s’écrient parfois les Berbères pour rapprocher naïvement l’arabe du peuple légendaire dont le nom servait dans ces pays à désigner tout le monde étranger. Les Berbères auront sans doute une idée plus haute et plus nette d’eux-mêmes, s’ils voient les nouveaux maîtres se donner la peine d’acquérir leur langue, au lieu de la tenir pour un patois de rustres, comme l’ont fait les fonctionnaires chérifiens et tous les moghrebins qui se piquaient de raffinement.

A vrai dire, la politique herborisante est difficile au point où en est déjà l’arabisation du pays, alors que beaucoup de familles influentes et de zaouia sont des centres arabes en plein pays berbère. En outre, demain, la vie économique plus intense que nous introduirons dans le pays, va brasser les hommes plus énergiquement qu’ils ne l’ont jamais été au Moghreb, favoriser l’expansion de la langue des régions les plus riches, les plus avancées, qui attireront à elles les émigrans temporaires de la montagne. Enfin une difficulté est en nous-mêmes : les officiers, les fonctionnaires, habitués à parler arabe à leurs administrés d’ici, auront quelque peine à parler berbère à ceux de là-bas : l’indolence et la force de l’habitude tendent à l’uniformité.

Le Résident Général a heureusement compris le haut intérêt de l’entreprise. L’enseignement du berbère a été organisé à Rabat dès le début du protectorat. La connaissance de cette langue sera obligatoire pour les agens appelés dans le pays encore berbère. Reste à espérer que les textes seront appliqués et que le jeu des clientèles politiques ne fera pas que les fonctionnaires soient aptes, quelles que soient leurs connaissances linguistiques, à toute place désirée par eux. Il s’agit d’une discipline si suivie que nous avons des doutes sur la possibilité de l’imposer avec la constance voulue pour obtenir un résultat.