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moyens d’action. Et, sinon dans les formules, du moins dans la réalité des choses, ce n’est pas un seul protectorat que nous faisons au Maroc, mais autant de protectorats que nous y rencontrons d’autorités locales, capables de nous épargner, au moins dans une certaine mesure et pour un certain temps, l’effort de conquérir et d’administrer directement telle ou telle fraction de pays.

Ce morcellement, sous l’unité théorique, n’a pas seulement une utilité immédiate pour la pacification : il est en harmonie avec l’objet lointain de toute notre œuvre nord-africaine. A quoi servirait d’unifier sous la teinte makhzen la mosaïque si heureusement disparate que nous présente le Maroc ? L’institution chérifienne est d’essence contradictoire à la domination des Infidèles. Cette raison et beaucoup d’autres nous la rendraient hostile dès que le Makhzen croirait pouvoir se permettre quelque indépendance et devenir un centre de ralliement pour les mécontens du régime français. Si l’unité du Maroc doit se faire, ce sera dans des cadres, des idées et des intérêts nouveaux apportés du dehors sous des espèces françaises.

Le parti pris de différencier les groupes indigènes doit être ferme, surtout lorsque nous avons à travailler des tribus conservant encore leur langue et leurs coutumes berbères. La barrière qui nous en sépare est moins haute que celle des tribus arabisées. Leur islamisation est superficielle ; la littérature coranique exclusivement arabe leur est fermée ; leurs coutumes et institutions restent étrangères à la loi de Mahomet. Elles n’ont pas de langue écrite, pas de culture qui se suffise et puisse s’opposer à la nôtre. Elles sont encore une matière première à ouvrer au mieux des intérêts de notre politique.

Cette politique ne saurait donc être de renouveler l’erreur commise en Algérie, par inattention, paresse et manie de l’uniformité, et qui a fait travailler notre administration à transformer les Berbères en hommes de civilisation arabe. Il s’agit de ne pas continuer aussi étrangement au Maroc l’œuvre d’arabisation lentement poursuivie par l’effet des siècles qui se sont écoulés depuis la conquête musulmane d’Okba. Arabiser, c’est islamiser. C’est donc approfondir l’emprise d’une religion de guerre sainte et répandre une langue qui peut être le véhicule d’idées hostiles, même sous des formes étrangères au vieux fanatisme musulman, comme le prouve l’exemple des journaux