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renouvelée, il est en même temps une inlassable diplomatie à l’intérieur. L’une n’irait pas sans l’autre : les forces du Makhzen ne suffiraient pas à le maintenir, si un groupe nombreux de grosses tribus se formait solidement contre lui. Aussi le gouvernement chérifien, qui n’a rien qui ressemble à des administrateurs, abonde-t-il en hommes habiles à profiter de toutes les circonstances, négociateurs consommés comme on en trouve à tous les échelons sociaux des pays inorganiques, où la vie doit être une diplomatie perpétuelle, l’astuce et le savoir faire pouvant seuls y suppléer à la règle, à la justice, bref a toutes les garanties absentés. Si une tribu des régions indécises se révolte, le jeu du Makhzen est de la faire « manger » par ses voisines au lieu d’aventurer une méhalla, armée chérifienne, dans un pays difficile. On essaiera de ne faire intervenir la force du gouvernement que lorsque les coups les plus rudes auront été portés. Le Makhzen nourrit jalousement toutes les haines du bled. Lorsqu’une cristallisation se dessine, il en entretient les lignes de clivage ; si une influence monte, il lui en oppose une autre ou la sape. Le tyran antique n’abattait pas plus soigneusement les pavots qui élevaient trop la tête… Diviser pour régner était la tâche essentielle du petit groupe de secrétaires, accompagnés de quelques archives que pouvaient emporter deux ou trois mulets, léger gouvernement nomade, apte à suivre un maître toujours en campagne, et oscillant sans cesse entre Fez et Merrâkech, pour faire peser alternativement sa force sur les diverses parties de son empire. C’est ainsi que, pour se maintenir, le Makhzen lui-même est un des facteurs de l’anarchie éternelle du Moghreb.

Au milieu d’elle, si rudimentaire qu’il soit, il paraît quelque chose et il a du prestige. Il sait se donner un ton de supériorité, une distinction que lui apportent des vizirs et des secrétaires fournis par la bourgeoisie, très raffinée à sa manière, de Rabat, de Tétouan et surtout de Fez. En outre le Makhzen, qui est si vaguement un gouvernement, se résume en une cour imposante, complexe, dont les allures dissimulent la barbarie de l’exploitation qui la fait vivre sur le pays. La raison d’être de la machine makhzénienne est d’assurer la substance nécessaire à cette tête, qui comprend toute la famille du chérif couronné, gens nombreuse et coûteuse, et qui contraste par sa grosseur, mais aussi, par sa mine soignée, avec la maigreur sauvage du